Dans le sillage de la visite papale “Souvenir ébloui” …. et après?
Dans le sillage de la visite papale
“Souvenir ébloui” …. et après?
Voilà bientôt trois semaines que le Pape François nous a rendu sa courte mais si intense visite de huit
heures et quarante minutes. La fébrilité qui a caractérisé la montée vers le lundi 9 septembre s’estompe
graduellement, et la vie mauricienne reprend son train-train habituel. Cette visite ne restera-t-elle qu’un
« souvenir ébloui», comme l’a évoqué le Cardinal Piat ou déclenchera-t-elle un profond changement des
mentalités menant à la création d’une nation mauricienne solide dans sa citoyenneté et solidaire dans
sa vie sociale ? Nous avons, certes, fait l’expérience d’un vivre ensemble hors du commun et très intense
le 9 septembre dernier ainsi que la semaine exceptionnelle des Jeux des Iles de l’Océan Indien.
Souhaitons que ces expériences soient, non pas un feu de paille, mais le roc sur lequel s’élargira une
société multiraciale et métissée vivant dans l’harmonie et le respect des différences culturelles et
politiques.
Les diverses paroles qu’a prononcées l’homme en blanc sont destinées à constituer ce roc. C’est
pourquoi cet article a pour objectif de rappeler des paroles-phares du Pape lors de sa visite-éclair. Mais
pour que ces paroles déclenchent en nous des réflexes salutaires, nous les commenterons brièvement
par rapport aux différentes situations auxquelles elles s’adressent. Soit dit en passant, le Pape a
subtilement abordé des questions de l’actualité mauricienne, ce qui indique que les services
diplomatiques du Vatican ont une excellente expertise en recherche socio-économique et politique!
Les jeunes
Dès l’homélie prononcée au Monument de Marie Reine de la Paix, le Pape a abordé la question
épineuse du chômage des jeunes. Alors que les autorités se félicitent que le taux global du chômage est
relativement bas à Maurice (6,9%) et se gardent de rappeler que le chômage chez les jeunes de 16
à 24 ans est de l’ordre de 25%, le Pape a dit ceci : « … il est dur de constater que malgré la croissance
économique que votre pays a connu ces dernières décennies, ce sont les jeunes qui souffrent le plus, ce
sont eux qui ressentent le plus le chômage qui cause non seulement un avenir incertain, mais qui leur
enlève aussi la possibilité de se sentir acteurs privilégiés de leur propre histoire commune. « (Album
Souvenir de La Vie Catholique p. 32*).
Il ne revient pas au Pape de nous proposer des solutions pratiques à ce problème. Mais en l’évoquant
avec tant d’à-propos, il nous invite fortement à un changement de mentalité, notamment
- au niveau des autorités, lesquelles devraient encourager fortement l’enseignement technique et
informatique, y compris dans les institutions privées, afin d’offrir des opportunités à tous ces
jeunes qui risquent de se retrouver au chômage, leurs diplômes académiques ne leur donnant
plus un accès quasi-automatique aux emplois de bureaucratie.
- au niveau des parents, si soucieux et avides du succès scolaire de leurs enfants, mais mal
informés sur la valeur et le besoin des formations techniques.
Signalons dans ce contexte une citation du Premier ministre lors du discours qu’il a prononcé à la State
House en présence du Pape : « l’Eglise nous donne aussi un grand soutien dans le domaine de
l’éducation à Maurice, depuis plus de 150 ans » (p. 53).
- On connait l’intérêt du Cardinal Piat et de l’Eglise mauricienne pour l’enseignement technique.
Le Collège Gabriel en est un exemple important. Souhaitons que la collaboration se renforce et
s’étende.
- Car si l’on veut mettre fin au paradoxe de la coexistence du chômage des jeunes et du recours
de plus en plus pressant à une main d’œuvre étrangère, il faut absolument revoir la formation
de la jeunesse mauricienne en savoir, savoir-faire et savoir-être.
Par ailleurs, cette jeunesse a, elle aussi, des responsabilités à assumer, comme celles notamment de
se préparer à prendre des initiatives dans la vie active plutôt que de se réfugier dans le monde
virtuel des réseaux sociaux. Au sujet de ceux-là, le concours avisé des parents est d’une importance
capitale : il arrive de plus en plus que, sans que leurs parents en soient au courant, des écoliers
s’excitent et s’insultent entre eux à travers des groupes whats app , ce qui mène à des règlements
de compte violents. Cette jeunesse-là est à plaindre, elle fait fausse route et elle nuit à l’harmonie de
la société.
Les migrants
Les migrants, non plus, n’ont pas échappé aux observations du Pape, lui-même fils de migrants
italiens en Argentine et pourvoyeur d’accueil à quelques migrants au Vatican. : « Je vous
encourage (…) à relever le défi de l’accueil et de la protection des migrants (…) (p. 52). Ce
message est clair : les autorités doivent être vigilantes par rapport à l’application des lois du
travail aux étrangers travaillant chez nous, les dirigeants d’entreprises doivent leur donner
des conditions de travail respectueuses de leurs droits humains, et la société dans son
ensemble doit bien les accueillir.
Dans les années à venir, il faut s’attendre à un recours renouvelé et accru à la main-
d’œuvre étrangère, compte tenu du faible taux de natalité à Maurice. Dans nos cités,
quartiers et villages, serons-nous accueillants à ces travailleurs étrangers que l’on voit,
chaque week-end, occuper à envoyer des sommes d’argent à leur famille dans leur pays
natal ou déambulant dans nos lieux de détente, comme le Caudan Waterfront ?
Fils et filles de migrants
Surfant encore sur le thème de la migration, le Pape se fait fort de nous rappeler une réalité
qui est commune à chaque Mauricien : « je vous encourage, dans la fidélité à vos racines, à
relever le défi de l’accueil et de la protection des migrants…. (p.61).
Ce à quoi fera écho le Premier ministre, en affirmant que « le dialogue est au cœur de la
République de Maurice, pays constitué de migrants de différentes cultures et différentes
religions » (p.57).
Autrement dit, bannie soit cette attitude qui n’est pas étrangère au comportement de
certains occupants des positions d’autorité et selon laquelle, pour paraphraser George
Orwell : « all Mauritians are equal, but some are more equal than others. »
Les inégalités
En fait, la question des inégalités n’a pas, non plus, échappé aux observations du Pape.
« … je voudrais vous encourager à promouvoir une politique économique axée sur les
personnes et qui soit en mesure de favoriser une meilleure répartition des revenus, la création d’emplois et la promotion intégrale des plus pauvres… vous encourager à ne pas
succomber à la tentation d’un modèle économique idolâtre…. (p 61-62).
Ces paroles sont comme un signal d’alarme pour notre société mauricienne. Trop souvent,
nous nous laissons emporter par une fixation sur le taux de croissance économique, allant
jusqu’à faire des casse-cou statistiques pour y ajouter un ou deux dixièmes de point de
pourcentage. Nous courons après la quantité au lieu de nous assurer de la qualité,
laquelle est caractérisée par la nature de la croissance, notamment sa capacité à créer des
activités économiques durables en termes d’emplois et de progrès social. Le Pape aurait
certes pu reconnaitre que nous avons, depuis l’indépendance, un Etat-Providence qui
émarge actuellement à la hauteur d’un tiers des dépenses budgétaires annuelles. Mais s’il
s’est appesanti sur les inégalités croissantes, c’est pour attirer notre attention sur les écarts
grandissants entre les hauts et les bas salaires, entre les villes et leurs « cités », entre les
salariés au mois et les gagne-petit de l’économie parallèle, entre les compagnies établies
sur le marché et les petites entreprises, et ainsi de suite.
C’est ainsi que le Pape François a fait écho à une récente étude de la Banque Mondiale,
signée Marco Renzani et qui est intitulée : Mauritius : Earnings Mobility and Inequality of
Opportunity in the Labour Market. »
Le constat a été fait. A nous tous, maintenant, gouvernants et gouvernés, à nous mettre à
l’ouvrage pour assurer une meilleure répartition des revenus dans notre pays. Et nous
sommes aussi invités à revoir notre frénésie à la consommation car, d’année en année,
celle-ci représente un pourcentage de plus en plus élevé, soit autour de 90% du Produit
Intérieur Brut de notre pays, ne laissant qu’une faible tranche de 10% à l’épargne pour
l’avenir. Le moment est venu pour nous de préférer la fourmi de Mr. La Fontaine à sa cigale
!
Notre maison commune
Une autre préoccupation du Pape se fait jour dans ce qu’il nous dit par rapport à notre
« maison commune ».
Il est bon ici de rappeler que ce terme de « maison commune » qui a fait son apparition
dans l’encyclique : « Laudato Si » s’inscrit dans la pensée pluri-séculaire de la doctrine
sociale de l’Eglise, selon laquelle la recherche du bien commun doit caractériser toute
l’activité humaine.
Le Pape plaide pour « la mise en œuvre d’une conversion écologique intégrale ».
Qu’entend-il par cette expression ? D’une part, il est impérieux que la communauté
internationale, composée de quelque 200 pays de la planète, mette en place des politiques
climatiques pour réduire les émissions de CO2, mais, d’autre part, il revient à chacun de
nous de changer notre « mode de vie afin que la croissance économique puisse réellement
profiter à tous sans risque de causer des catastrophes écologiques ou de graves crises
sociales.» (p.62).
Comme on peut le voir l’encyclique « Laudato Si » va bien au-delà des considérations
purement écologiques, comme on l’entend d’habitude. Elle s’inscrit dans la lignée de
l’enseignement social de l’Église : il ne suffit pas seulement de préserver la nature, mais il faut encore que nous puissions tous avoir accès à ses bienfaits. D’où le terme « écologie
intégrale ».
La valeur transcendante de la vie
Dans un autre ordre d’idées, tout en saluant les différentes religions présentes dans la
République, le Pape a tenu à « rappeler la valeur transcendantale de la vie contre toutes
sortes de réductionnisme » (p 62). On ne peut que souhaiter que ce sage conseil soit
toujours entendu et appliqué dans notre pays. Ce qui se passe dans de nombreux pays dits
développés, tels que la France (introduction programmée de la GPA-gestation pour autrui-
pour tous) et l’Irlande et l’Australie (avortement légalisé) , donne matière à réflexion. Voilà
du travail en profondeur pour le Conseil des Religions à Maurice.
Et les Chagos…
L’occasion était trop belle. Le Pape est venu prêter main forte au combat des Chagossiens
pour le retour dans leur archipel. Et il a insisté que les décisions des organismes
internationaux en matière de gouvernance doivent être suivies et appliquées lorsqu’elles
sont justes pour l’humanité. C’est là une parole forte, mais il est permis de douter qu’elle soit
entendue par un Boris Johnson empêtré dans les filets du Brexit.
Quelques autres souvenirs
Voilà pour l’essentiel, les paroles qu’il est agréable et utile de rappeler suite à la visite du
Pape. Mais il est une attitude et un geste dont il faut aussi se souvenir :
- Une attitude d’humilité de la part du Pèlerin de la Paix venu, non pour être servi, mais
pour servir. Puisse cette attitude être un exemple pour tous ceux qui exercent un
quelconque pouvoir dans notre société, de la classe politique à la gestion des affaires,
dans la cellule familiale entre parents et enfants, au sein des organisations religieuses et
non-gouvernementales.
- Un geste de profonde simplicité, lorsque le Pape a choisi de se mettre à côté du
chauffeur en quittant l’aéroport, au lieu de se caler sur le siège arrière. Quelle belle
leçon d’humilité pour ceux d’entre nous qui cherchons toujours les places d’honneur
pour être en compagnie des grands de ce monde.
- Et pour terminer, un petit regret. C’est celui du dépouillement de Marie Reine-de-la-Paix
de tous ces magnifiques bouquets de fleurs dont elle avait été ornée. Sans doute, ceux
qui se sont servis avaient-ils la bonne intention de garder un souvenir de la belle
cérémonie religieuse célébrée par le Pape François. Soit ! mais n’était-ce pas cette
attitude de « se servir » sans penser aux autres.
En conclusion
Notre république a été bénie. Les paroles et les gestes du Pape sont là pour nous guider.
Puissent-ils rester bien vivants au sein de notre société mauricienne afin que nous ne
succombions pas à des tentations de repli communautaristes et identitaires à l’occasion de
certains événements nationaux. Vivement pour un progrès permanent de mentalités à travers
la société mauricienne toute entière et surtout pour un désir de service réel et désintéressé
chez ceux qui ont des postes de responsabilité , en commençant par la classe politique.
Pierre Dinan
*Toutes les citations subséquentes proviennent du même document.
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