Au seuil des années vingt - Défis à relever et déploiement de nos ressources
Au seuil des années vingt
Défis à relever et déploiement de nos ressources
Notre pays entre dans la troisième décennie du vingt-et-unième siècle sans
avoir encore pu gravir le plus haut palier de l’échelle des pays rangés selon
leurs revenus par tête d’habitant. Ce palier est désigné comme étant celui des
pays à hauts revenus. Voilà de longues années que nous sommes bloqués sur
le palier inférieur, avec le groupe des pays à revenu moyen élevé. Nous
sommes ainsi piégé au niveau des pays à revenu intermédiaire.
Nous en sortirons-nous, et si oui, comment ? Tel sera notre propos dans les
lignes qui suivent.
Commençons par une constatation évidente. Les principaux rouages de
l’économie mauricienne font face à de sérieux défis.
Dépourvue des protections douanières dont elle a bénéficié pendant
des années grâce à feu le Protocole Sucre, la vénérable industrie
sucrière peine à ramener son coût de production à un niveau
compétitif, afin de dégager une marge de rentabilité dans
l’environnement chronique et séculaire des faibles cours mondiaux du
sucre.
Les entreprises manufacturières des zones franches sont à la peine.
Des fermetures défraient fréquemment la chronique. Voilà un secteur
qui a connu des heures de gloire, surtout dans les décennies 80 et 90,
parce que les conditions qui avaient déclenché son ascension étaient
alors présentes, soit l’existence d’une main-d’œuvre abondante et à
bon marché. Ces deux conditions sont du passé maintenant.
L’hôtellerie et le tourisme, ces fleurons de notre économie, peinent à
diversifier les sources d’approvisionnement. Malgré des efforts à attirer
des touristes asiatiques, notamment de la Chine, elle reste largement
euro centrique. La diversification du produit est aussi une vraie gageure,
le moteur principal étant le farniente sur le sable blanc et les baignades
en mer chaude, ce qui n’est guère notre exclusivité dans cette partie de
l’Océan Indien.
Les services financiers transfrontaliers subissent les contrecoups des
modifications majeures intervenues dans les accords entre l’Inde et
Maurice par rapport au traitement fiscal des gains en capital réalisés par
des investisseurs utilisant Maurice comme plateforme pour se déployer
en Inde.
Il est un autre défi majeur transcendant ces défis sectoriels, c’est celui du
déséquilibre démographique, lequel fait, sournoisement, son chemin sans
qu’on en prenne vraiment conscience. En effet, le taux des naissances est au-
dessous du taux de remplacement de la population mauricienne depuis de
longues années, de sorte que les statistiques officielles prévoient, dès le début
des années vingt, que le nombre de Mauriciens commencera à décroitre. En
2018, nous étions au niveau de 1 265 303 Mauriciens. En 2023, il est estimé
que nous serons au niveau de 1 262 050 et en 2028, à 1 230 628.Le terme :
déséquilibre a été utilisé intentionnellement ci-dessus. En effet, la population
évoluera en une courbe descendante en raison du déficit des naissances, avec
comme conséquence, une moindre disponibilité grandissante des forces vives
de ce pays, soit une diminution de ces ressources humaines. Simultanément,
grâce aux progrès de la médecine et de l’hygiène de vie des Mauriciens dans
leur ensemble, l’espérance de vie des personnes âgées se prolongera. Forces
vives en diminution et forces d’hier en hausse : ce n’est pas une formule
gagnante pour une économie qui peine, depuis des années, à échapper au
fameux piège des pays à revenu intermédiaire.
Voilà donc, succinctement résumé, la liste des défis internes qui se pointent à
l’horizon mauricien en ce changement de décennie. Ajoutons-y les défis
externes, dont le principal est le flou dans lequel baigne l’économie mondiale
en ces temps incertains.
Incertain, parce que nos principaux partenaires commerciaux, acheteurs de
nos marchandises et nos services, sont en instance de divorce et que les
conséquences pour leur santé économique risquent d’être sévères dans le
sillage du Brexit.
Incertain, parce que la guéguerre commerciale entre les deux géants mondiaux
que sont les Etats-Unis et la Chine peut non seulement avoir des effets
collatéraux sur les économies de pays avec lesquels nous avons des liens
commerciaux, mais aussi mettre à mal tout le système mondial de la
libéralisation du commerce, facteur important pour la gestion de notre petite
économie si ouverte aux vents du grand large.
Ajoutons-y les conflits larvés au Moyen-Orient autour du nucléaire, et nous
voici constamment exposés à des risques de hausse intempestive des prix du
pétrole, dont nous sommes si largement dépendants pour nos besoins en
énergie.
Fiers de notre histoire économique de ces quarante dernières années, nous
nous devons de relever ces défis qui se dressent devant nous au seuil des
années vingt. Si la solution des défis de nature externe est hors de notre
portée, celle des défis de nature interne dépend, bel et bien, de notre volonté
commune et de nos efforts communs.
L’approche suggérée dans les lignes qui suivent est la suivante : déployons
avec intelligence et avec détermination la principale de nos ressources, c’est-à-
dire notre propre force humaine. Depuis les années soixante-dix, la population
mauricienne a montré de quoi elle était capable, en réussissant à transformer
une économie caractérisée par une monoculture agricole en une économie
vibrante comprenant l’agriculture, les manufactures, et une palette de
services, allant du tourisme aux finances et aux technologies nouvelles.
Cette force humaine doit être renouvelée et renforcée, car comme il a été
rappelé ci-dessus, elle subit les effets d’un déséquilibre démographique. D’où
l’urgence d’une politique démographique à développer avec intelligence et au
plus vite. C’est une erreur de croire, comme le pensent certains, que nous
pourrons avantageusement faire appel à des migrants pour pallier à notre
manque de main-d’œuvre. Certes, celle-ci nous a aidés durant les années de
gloire des zones franches manufacturières, et même jusqu’au temps présent.
Nous devons leur en être redevables. Mais nous ne pouvons pas compter sur
des étrangers pour créer ce déclic d’un développement durable et de qualité ,
lequel ne peut provenir que des seuls autochtones, mus par l’amour de leur
pays et la satisfaction de leurs besoins personnels et familiaux.
Il va de soi que cette force humaine doit bénéficier d’une formation de valeur,
avec l’accent mis sur le savoir, le savoir-faire et le savoir-être.
-le savoir, c’est-à-dire l’alphabétisation pour commencer, mais aussi et de plus
en plus, la formation au numérique, afin de pouvoir s’adapter à la révolution
technologique qui envahit la planète ;
-le savoir-faire, soit une formation professionnelle, non limitée aux activités
dites libérales, mais s’étendant aux métiers techniques et électroniques dont
notre pays a un urgent besoin ;
-le savoir-être, enfin, car notre société mauricienne ne se développera, pour le
mieux-être de toute la population, que si les valeurs éthiques et citoyennes
sont respectées et observées par chacun et par tous.
Il faut aussi se rendre compte et rappeler que nos ressources terriennes sont
fort limitées, même si on prend compte d’éventuels apports suite au retour
des iles et archipels en voie de recouvrement. C’est pourquoi l’autre ressource
qui doit retenir toute notre attention au seuil des années vingt, c’est notre
vaste espace marin de 2,3 millions de kilomètres carrés. Avec l’éventuel
retour de l’archipel des Chagos, il y a lieu de penser que les Nations Unies
élargiront cet espace marin sur lesquels la République de Maurice a tous les
droits d’exploration et d’exploitation. Sauf qu’elle n’a, ni les connaissances
spécialisées qui sont requises, ni les moyens financiers que les travaux de
recherche exigent. C’est pourquoi il est impérieux qu’une stratégie soit mise en
place par les pouvoirs publics, afin que l’on puisse dégager les mesures à
prendre pour effectuer des recherches sur ce que recèle ce vaste espace
marin, notamment en matière de pêche et de potentiel énergétique. Il est
permis de penser que notre pays a suffisamment de pays amis pour lui
procurer l’aide d’experts et l’aide financière requises pour des recherches
approfondies. Il y a lieu, également, de solliciter le concours des institutions
multilatérales, dont principalement la Banque Mondiale qui a déjà consacré
une étude à ce potentiel. D’ailleurs, l’intervention et la présence des
institutions multilatérales-ou internationales diminueraient le risque que notre
pays ne tombe dans les dangereux pièges de l’aide intéressée d’une
quelconque puissance étrangère. Il va de soi qu’un tel développement doit se
faire dans le strict respect des normes environnementales. C’est à cette
condition qu’il sera durable, condition essentielle pour tout développement
qui se respecte.
Il y a fort à parier que c’est le développement éventuel de nos ressources
marines, caractérisées par cette vaste zone d’exploitation exclusive, qui
changera la donne et qui libèrera la République de Maurice du piège qui la
retient depuis des années.
Tel est le souhait que nous pouvons mutuellement nous formuler au moment
où nous abordons la troisième décennie du vingt-et-unième siècle.
Pierre Dinan
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