Regards sur l’endettement public et privé
Regards sur l’endettement public et privé
Le montant de la dette publique fait souvent l’objet de débats ou de
discussions enflammées. Par contre, le montant des dettes privées est peu ou
pas commenté, sans doute parce que les acteurs-ou les victimes-ne veulent
pas discuter de cas personnels sur la place publique. Par ailleurs, avec les
premiers préparatifs déjà mis en train pour le budget national 2020-21,
l’endettement public sera surement une préoccupation majeure et animera les
commentaires et les conversations.
C’est afin d’avoir une vue d’ensemble de l’endettement, aussi bien public que
privé, qu’est proposé ce tour d’horizon, rendu possible grâce aux statistiques
financières publiées périodiquement dans les bulletins de la Banque de
Maurice ainsi qu’aux informations chiffrées extraites des documents
budgétaires. La dette publique retiendra d’abord notre attention, puis nous
dissèquerons la dette privée.
La dette publique
Selon les prévisions budgétaires pour l’exercice financier en cours, la dette
publique atteindra, d’ici juin prochain, un montant égal à 324,5 milliards de
roupies. La part de la dette qui provient des activités du Trésor public est
égale à 281,9 milliards, soit 86,9% du montant total. Le solde de 42,6 milliards,
soit 13,1%, représente les dettes des entreprises publiques. Ce fait n’est pas
sans importance : la saine gestion des dettes n’est pas la seule responsabilité
des ministres et de leurs conseillers au sein des ministères, elle relève aussi des
administrateurs des entreprises publiques (CWA, CEB, MBC, Mauritius
Telecom, Waste Water Management Authority, ….) et de leur management.
Dans ce contexte, il est intéressant de souligner que le prêt accordé, par l’Exim
Bank de l’Inde, à une compagnie subsidiaire de la State Bank of Mauritius,
pour l’installation des caméras à travers le pays, fait aussi partie de la dette
publique
Il importe aussi d’analyser la dette publique par rapport à sa provenance.
Celle-ci est de source, soit domestique, soit étrangère. Quand les sommes
empruntées proviennent de capitaux mauriciens, elles sont libellées en roupies
et elles seront donc éventuellement remboursées en roupies. Les intérêts sont
également payés en roupies. Si durant l’existence du prêt la roupie perd de sa
valeur, c’est le bailleur de fonds qui en subira les conséquences de
remboursements et d’intérêts avec une valeur amoindrie par la dépréciation
de la roupie. Par contre, lorsque la dette est de source étrangère, elle est
libellée en une devise internationalement reconnue, telle que le dollar US,
l’euro ou la livre sterling. Dans ce cas de figure, le Trésor public et les
entreprises concernées prennent le risque d’être frappés de plein fouet par
une éventuelle dépréciation de la roupie, au moment où il faudra payer les
intérêts et rembourser le capital.
Dans ce contexte, il est heureux de constater que la dette publique sera, selon
les estimations d’ici au 30 juin 2020, de source locale à hauteur de 85,2%( soit
276,5 milliards). Le reste de la dette sera de source étrangère et elle est
estimée à 48 milliards, soit 14,8%.La dette publique mauricienne a toujours
affiché un tel profil de forte source locale, par opposition à la provenance
étrangère. Il faut tout faire pour le maintien de cette caractéristique à l’avenir.
Car nous savons que les taux mauriciens de l’épargne sont à des niveaux
anémiés depuis plusieurs années. Par exemple, en 2018 et 2019, le taux de
l’épargne nationale n’est estimé qu’à 10% et 11,4% du PIB (Produit Intérieur
Brut), alors que le taux des investissements est estimé à 18,8% et 19,8%
respectivement. Les investissements sont donc supérieurs à l’épargne de
source locale, et la différence doit forcément venir des sources étrangères, en
devises fortes. Si nous persistons dans cette voie, cela finira par changer la
physionomie de la dette publique, avec celle d’origine étrangère prenant une
courbe ascendante. Comme cela a été évoqué ci-dessus, les risques d’un
service plus onéreux de la dette, suite à une dépréciation de la roupie, seront
bien réels et dangereux.
Un facteur additionnel mérite notre attention. L’économie mauricienne est
très ouverte en ce sens que le niveau de son commerce extérieur (somme des
importations et exportations) s’élève à quelque 90% du PIB. Ceci est la
conséquence de la petite taille de l’économie mauricienne, laquelle n’a d’autre
choix que d’importer une très large proportion de ses besoins basiques, et
donc de se procurer les essentielles devises étrangères en exportant ses
marchandises et services. C’est dire comment toute stratégie ou démarche
économique mauricienne doit obligatoirement tenir en ligne de compte les
effets sur les besoins en devises étrangères. C’est ainsi que tout éventuel
accroissement de la proportion de la dette publique en devises étrangères doit
être étroitement surveillé.
A cet égard, il est pertinent de comparer le montant la dette extérieure à celui
des exportations du pays, celles-ci étant le principal moyen d’acquisition de
devises fortes pour le financement des besoins nationaux.
Il est donc utile de souligner que la dette extérieure équivalait, au 30 juin 2019,
à 39,7% de la somme des exportations de biens et service du pays. Selon les
prévisions contenues dans les documents du budget, cette proportion est
appelée à baisser à 35,8% à la fin de juin 2020, puis de remonter à 36% en
juin 2021. La projection est égale à 35,7% à juin 2021. Il va sans dire que ces
proportions déclineront à condition que les taux de croissance de l’économie
soient en accord avec les prévisions officielles pour la période, notamment 4%
en 2019-20, 4,1% en 2020-21 et 4,2% en 2021/22. En la présente conjoncture,
ces prévisions sont un gros défi à relever, vu les incertitudes au niveau
économique international et les défis de productivité et d’adaptation à des
conditions nouvelles auxquels nos industries exportatrices sont confrontées.
.
Un aspect réconfortant de la dette publique dans sa présente physionomie,
c’est qu’elle est largement à long terme, probablement remboursable dans un
délai de plus de cinq ans. En effet, il est estimé qu’à la fin de juin 2020, 70,2%
de la dette publique sera à long terme, soit 227,9 milliards. Les montants
remboursables à moyen terme sont estimés à 64,1 milliards, soit 19,8% ; ceux
remboursables à court terme se chiffrent à 32,5 milliards, soit 10%.Il est
particulièrement réconfortant de voir que la quasi-totalité de la dette
étrangère est à long terme. Il faut espérer que, d’ici-là, notre roupie aura pris
des couleurs car sa forme actuelle n’est guère brillante.
En effet, entre le 3 janvier 2020, jour de la reprise des activités après les
festivités, et le 20 février, le prix d’achat du dollar US est monté de 36,88 à
37,90 roupies, selon les données officielles de la Banque de Maurice. Ainsi, la
roupie a, en terme du dollar US, perdu Rs 1,02 en 48 jours, ce qui équivaut à
2,77% pour cette période. Ramené à une base annuelle, cela équivaut à une
dépréciation de quelque 21%.
Les observations ci-dessus ont passé en revue les aspects de la dette publique
selon des critères qui ne sont pas souvent évoqués, notamment les origines de
la dette, les périodes de remboursement et les effets sur la gestion des
devises étrangères. En dernier lieu, il y a lieu de considérer le facteur qui
retient le plus l’attention et qui fait l’objet de fréquents commentaires. Il s’agit
de la proportion du PIB que représente la dette publique. Selon les prévisions
budgétaires, cette proportion se chiffrait à 65% au 30 juin 2019. Les prévisions
subséquentes, toujours au 30 juin, sont respectivement 61,6% en 2020, 59.8%
en 2021 et 59,3% en 2022.Il est bien entendu que ces prévisions dépendent de
la réalisation des taux de croissance, comme évoqué ci-dessus.
Ces pourcentages supérieurs à 60% sont souvent perçus de manière négative
par les observateurs. Il est vrai aussi que, dans un louable élan d’ascèse
financière, l’Assemblée Nationale s’est, il y a quelques années, imposée un
plafond égal à 60% du PIB pour la dette publique. Mais le montant de 60% ne
doit pas être perçu comme un chiffre magique. Nombreux sont les pays qui
affichent des taux beaucoup plus élevés, sans pour autant être en faillite. En fin
de compte, ce n’est pas le pourcentage du PIB qui est l’indicateur clé pour
l’économie mauricienne : ce sont davantage les indicateurs relatifs à la
composition-étrangère ou pas- et au service de la dette libellée en devises par
rapport aux exportations.
Cela dit, cette barre de 60% semble hanter les esprits des gestionnaires de la
dette publique. C’est ainsi que durant le présent exercice financier (2019-20),
le Trésor Public est allé puiser dans des réserves spéciales de la Banque de
Maurice- réserves destinées à la conduite de la politique monétaire- un
montant de 19 milliards de roupies afin de rembourser, par avance, à l’African
Development Bank(AFB), une tranche de 7,1 milliards de roupies dès le 31
janvier 2020. Le solde de 10,9 milliards, toujours dû à l’AFB, sera remboursé
d’ici décembre 2020. En attendant, ce montant transféré de la Banque de
Maurice sert de « faisance valoir » (note 1) au Trésor Public-sans intérêt,
semble-t-il ! Espérons, par ailleurs, que le remboursement par anticipation n’a
pas déclenché une amende de la part du bailleur de fonds.
Grace à cette opération de transfert peu orthodoxe, l’honneur est sauf ! De
65% au 30 juin 2019, la dette publique descendra à 61,6% au 30 juin 2020 et
sera sous la barre de 60% en juin 2021 ! Pourvu que le taux de croissance de
l’économie soit pareil aux prévisions ! Sinon, on risque d’avoir à faire à
nouveau appel aux transferts peu orthodoxes des réserves spéciales de la
Banque de Maurice.
La dette privée
Il convient d’abord de définir ce qu’on entend ici par l’expression : dette
privée. Ce sont les prêts bancaires aux différents secteurs d’activités
économiques, ainsi qu’aux ménages. Selon le tableau 23 du bulletin de la
Banque de Maurice, il s’agit de facilités bancaires sous la forme de prêts, de
découverts et de crédits-bails financiers. A la fin de novembre 2019, le
montant total de ces facilités bancaires s’élevait à 381,1 milliards de roupies.
Ce montant peut lui-même être analysé comme suit :
- les secteurs d’activités économiques : 199,5 milliards
-le secteur financier transfrontalier : 69,5 milliards
-les ménages : 112,1 milliards
Il convient de préciser qu’il s’agit ici de dettes auprès des banques
mauriciennes. Il est certes possible à des entreprises de contracter, auprès de
bailleurs de fonds étrangers, des emprunts libellés en devises fortes. Une
compilation de ces renseignements n’est possible qu’en examinant les bilans
des entreprises, pour peu qu’ils soient tous disponibles.
Cela dit, quelques remarques intéressantes découlent de l’analyse ci-dessus :
-si le secteur financier transfrontalier a sa part de l’endettement privé, soit
69,5 milliards au 30 novembre 2019, le secteur financier dans son ensemble
contribue bien davantage à la balance des paiements, notamment un montant
net de 772 milliards de roupies durant le trimestre échu au 30 novembre 2019.
-parmi les secteurs d’activités économiques, les secteurs les plus endettés sont
celui de l’hospitalité et de la restauration (38,8 milliards), l’immobilier et
l’industrie de la construction(35,1), le commerce (25,2), les
manufactures(20,5) et l’agriculture(12,0).
-avec 112,1 milliards, les ménages caracolent en tête. Il n’y a pas de quoi
pavoiser. Ce montant est égal à un peu plus d’un tiers de celui de la dette
publique. Il suscite de la réflexion.
Car, alors que les entreprises et autres secteurs d’activité économique
empruntent pour créer de la valeur ajoutée, laquelle pourvoira au service et au
remboursement de la dette, les ménages empruntent pour leurs besoins
personnels. En soi, cela est tout à fait naturel : on emprunte pour s’acheter une
maison, des meubles, une moto ou une voiture, sinon on emprunte pour
financer l’éducation des enfants, et ainsi de suite. Les questions surgissent
lorsque le service de la dette dépasse les moyens de l’emprunteur.
C’est pourquoi il est bon de se demander pourquoi la dette des ménages est si
élevée. Est-ce la faute à des gages et salaires insuffisants ? Est-ce la
conséquence d’une mauvaise répartition des richesses ? Est-ce « la vie chère »,
comme on l’entend souvent exprimer ? Ou alors, est-ce la surconsommation,
laquelle peut amener des ménages à vivre au-dessus de leurs moyens « pour
faire comme les voisins d’à-côté».
Autant de questions auxquelles cet article ne prétend pas apporter des
réponses. Celles-ci sont, sans doute, multiples et variées, et elles dépendent
des circonstances particulières des uns et des autres. Mais elles interpellent,
non seulement les personnes concernées en premier lieu, mais aussi tous ceux,
gouvernants et gouvernés, qui ont à cœur que le développement de ce pays
soit bénéfique à tous ses citoyens.
Le développement inclusif est un des objectifs majeurs du nouveau
gouvernement. Il ferait œuvre utile en disséquant les causes de la dette privée,
surtout celle des ménages, tout comme il se doit de s’assurer que la dette
publique est contractée à bon escient, hors de tout gaspillage et de mauvaise
gestion.
-
Note 1. Le terme : faisance-valoir est emprunté aux entreprises sucrières mauriciennes
dont les fonds de roulement sont ainsi désignés par les banques qui les financent.
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