En ces temps nouveau - L’urgence de sortir des sentiers battus
Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire la période actuelle, marquée
par le passage du COVID 19 : nouvelle normalité, situation exceptionnelle, état
d’urgence mondial…En effet, depuis la précédente pandémie, surnommée
grippe espagnole, des années vingt du 19 e siècle, (quelle surprenante
coïncidence !), le monde est devenu un village, de sorte que la propagation
d’un virus aussi transmissible que le COVID 19 est inéluctable. Quant à notre
République, elle est aux premiers rangs des pays fortement menacés, compte
tenu de la physionomie de son économie, soit une très grosse dépendance sur
le commerce international : la somme des exportations et des importations
des marchandises et services mauriciens était, en 2019, estimée à 92,8 pour
cent du PIB (Produit intérieur brut).Freiner ce commerce international, et
l’économie tourne au ralenti !Par définition, il nous faut des frontières
ouvertes et accueillantes pour que se réalisent nos exportations et nos
importations.
La situation se corse davantage du fait que la principale industrie mauricienne
est le tourisme, dont la clientèle doit obligatoirement pénétrer les frontières
de notre pays. En effet, le tourisme, défini dans les publications de Statistics
Mauritius(SM), comme activité hôtelière et restauration, est le secteur
économique qui contribue le plus au PIB, soit 6 pour cent en 2019, comparé à 3
pour cent pour le secteur manufacturier. Ajoutons-y l’apport de l’activité
touristique à d’autres secteurs économiques, tels que le transport
international, les déplacements à travers le pays, le commerce du luxe, et l’on
mesure que la contribution du tourisme n’est pas uniquement en terme de
logement et de nourriture. De même, si en 2019, le tourisme, tel que défini par
SM, a contribué à l’existence de 31 239 emplois, il y a eu aussi des emplois
indirects résultant des activités secondaires énumérées ci-dessus. On cite
d’habitude le chiffre de 50 000 emplois résultant de l’activité touristique
mauricienne, mais ce chiffre doit être validé. Une autre statistique à retenir :
en 2019, le tourisme a apporté à la balance commerciale du pays un montant
égal à 63 milliards de roupies, soit quelque 32% de la totalité des devises
provenant des exportations de services et de marchandises. C’est dommage
que jusqu’ici, il n’y ait aucune publication sur l’apport global du tourisme au
PIB, à l’emploi et à l’entrée des devises fortes, notamment l’euro, le dollar et
la livre sterling, qui nous sont indispensables pour le financement de nos
importations.
Quoi faire devant ces réalités nouvelles et leurs inéluctables conséquences
pour l’économie mauricienne ?
Tel sera le fil conducteur de cet article, qui touchera aussi à d’autres aspects
de la vie mauricienne, notamment la gouvernance et le social. Car, d’une part,
l’économie n’évolue pas dans un vase clos, de sorte qu’elle requiert un climat
social sain et apaisé pour prospérer et, d’autre part, ses fruits sont destinés au
bien-être de la population tout entière, dans un respect de justice pour tous.
A tout seigneur tout honneur ! Commençons par la structure-même de
l’économie mauricienne. Très ouverte, comme déjà démontré ci-dessus. Peut-
on y remédier ? Des voix se sont déjà fait entendre, des actions ont même été
prises, telles que celles du financement par la Banque de Développement des
potagers situés dans des arrière-cours. L’autosuffisance alimentaire est à
l’ordre du jour. En fait, celle-ci est impossible à 100%, nous aurons toujours
besoin d’importer une partie de nos besoins alimentaires, mais toute
contribution que nous pourrions apporter grâce à notre débrouillardise et à
notre inventivité réduira notre dépendance sur les importations de nourriture.
Dans ce même ordre d’idées, il y a lieu d’évoquer les possibilités considérables
d’un accroissement de nos prises de pèche, dans cet immense espace marin
de 1,9 millions de kilomètres carres, sur lequel nous avons une juridiction
exclusive sous l’égide de l’ONU (Organisation des Nations-Unies), et d’un
supplément de 0,4 millions que nous partageons avec les Seychelles.
Comment réaliser ces possibilités, tel devrait être une des priorités des
autorités. Par exemple, en faisant avec l’aide de sociétés privées, l’acquisition,
de bateaux modernes et bien équipés pour la pêche en haute mer, et aussi en
se hâtant de former adéquatement des marins pécheurs, dont la productivité
pourra alors augmenter, ainsi que leur rémunération et leur satisfaction
personnelle d’exercer une profession essentielle pour leur pays.
Restons dans le domaine maritime. Le premier cinquantenaire de notre
République a été marqué par une diversification exemplaire des activités
économiques. Il y a lieu de rappeler que ce recours à la diversification a été
déclenché par la catastrophe qui s’est abattue sur Maurice en 1960, soit les
cyclones successifs Alix et Carol. La seule et unique industrie digne de ce nom à
cette époque-là, l’industrie sucrière, était à genoux, et l’économie avec. C’est
alors que les missions Meade et Titmuss firent une étude socio-économique en
profondeur de la situation mauricienne, ce qui déboucha, entre autres, sur la
diversification industrielle au début de la décennie suivante. Ce changement
de paradigme a donné l’occasion aux Mauriciens de mettre en valeur leurs
aptitudes et leur capacité à mieux exploiter les ressources terriennes du pays.
Celles-ci –les ressources-sont de plus en plus limitées, vu leur accaparement
par les nombreux projets immobiliers à travers le pays, mais celles-là-les
aptitudes- sont, espérons-le, toujours en alerte et en attente d’être mises en
œuvre. Cela dépend de chacun de nous. Si nous avons réussi à redresser la
barre après la catastrophe naturelle de 1960, nous devons et nous pouvons, en
tant que nation mauricienne, relever la tête après le double drame du COVID
19 et du naufrage du Wakashio sur nos récifs.
Pour le deuxième cinquantenaire de notre République, appliquons donc nos
aptitudes et notre détermination à l’exploitation rationnelle et intelligente de
nos ressources maritimes.
Quant à nos aptitudes humaines, elles demandent à être orientées dans le
sens de la révolution numérique en cours à travers le monde entier. Nous
avons beaucoup de chemin à faire dans ce sens-là : il ne suffit pas de savoir
manipuler un smartphone dès ses tendres années, mais l’apprenant doit, sur
les bancs de l’école, être initié au langage de ce moyen de communication
moderne, tout comme il doit l’être aux lettres de l’alphabet. Pour bien écrire et
bien parler, les générations passées apprenaient la grammaire : si cette
exigence est toujours d’actualité, elle doit être accompagnée de la formation
au langage numérique. Si notre système d’éducation n’évolue pas dans ce
sens, il est à craindre que les générations à venir ne sauront, ni ne pourrons,
surfer sur la vague numérique et prendre avantage des opportunités qu’elle
recèle. Et la situation sera aggravée du fait qu’une majorité de la population
sera vieillissante, ce qui signifie une incapacité grandissante à s’adapter aux
exigences de la révolution numérique. Plaidons, une fois encore, pour la mise
en place d’une stratégie démographique de notre pays : la mutation de la
pyramide en une toupie ralentira notre progrès économique, faute de
disponibilité de ressources humaines autochtones, et sera la source de
tensions sociales en cas de recours substantiel à la main d’œuvre étrangère.
Les exemples d’autres pays qui se sont retrouvé dans une situation similaire ne
manquent pas.
Notre pays baigne dans un environnement naturel hors du commun, grâce à la
générosité du soleil pendant l’année entière. Voilà bien une ressource
naturelle que nous devons utiliser au mieux de nos capacités, sans avoir même
à craindre une sur exploitation, comme ce peut être le cas pour d’autres
ressources naturelles. Vu l’étendue de notre dépendance sur l’énergie fossile,
nous nous devons d’utiliser au maximum les rayons du soleil pour produire
l’énergie dont nous avons besoin. Or, cette contribution des rayons du soleil
via les systèmes photovoltaïques installés dans le pays n’a atteint que 5 pour
cent de la production énergétique en 2019.
La conscience écologique est de plus en plus forte, à Maurice comme ailleurs
dans le monde. La pratique du jetable, qui caractérise la société de
consommation actuelle, est décriée à juste titre. C’est pourquoi, et
particulièrement en ces temps difficiles où nous devons revoir nos habitudes et
nos pratiques, notre pays devrait promouvoir l’économie circulaire. Celle-ci
vise à éliminer les gaspillages, notamment à travers une gestion des déchets et
une réutilisation des matières premières dans la mesure du possible.
La gouvernance
S’il y a une certitude en ces temps troublés, dans le monde entier comme chez
nous, c’est que la barre ne sera redressée que si toutes les énergies sont
rassemblées pour vaincre l’ennemi commun et prévenir le naufrage. C’est
pourquoi un gouvernement d’unité nationale s’impose à Maurice, afin de
permettre la prise de décisions nécessaires pour la remise en marche du pays
et pour le bien de tous.
Il est impérieux que la constitution d’un gouvernement d’unité nationale
suive les étapes suivantes :
-la convocation à une assemblée délibérative des représentants accrédités de
toutes les forces vives du pays, notamment les institutions publiques, le
secteur des affaires, les syndicats, les religions, les associations charitables, les
partis politiques,….
-objet des délibérations : élaboration d’un programme commun en vue de
remettre l’économie mauricienne sur les rails et au bénéfice de la nation tout
entière.
-durée du mandat : pas plus de cinq ans, afin d’éviter les atermoiements dans
la prise de décisions et le risque de prolongement par des assoiffés du pouvoir
-le programme commun devra être soumis à l’approbation de l’électorat de la
République par voie de référendum. C’est cela qui donnera à ce gouvernement
sa légitimité. Il convient d’éviter les erreurs commises dans les années
soixante-dix lorsque le parti au pouvoir et le principal parti de l’opposition
conclurent une alliance dans le dos d’un électorat très divisé, avec toutes les
conséquences de grèves et de remous dans le pays. Cette décennie-là se solda
par la dévaluation de la roupie !
La constitution d’une telle assemblée créerait l’occasion de rehausser la
qualité de la gouvernance publique de ce pays. Le naufrage du Wakashio l’a
démontré : les responsables politiques n’avaient d’autre choix que de suivre
les conseils des experts. Si notre constitution prévoit que c’est un légiste qui
doit être le ministre de la Justice, si le ministre des Finances est souvent un
économiste ou un expert-comptable, si le ministre actuel de la Santé est un
médecin, c’est qu’il est implicitement reconnu que des ministères- clés
requièrent, non seulement des fonctionnaires qualifiés ou bien formés, mais
aussi une direction politique avec des connaissances qu’exige la responsabilité
envers le pays tout entier. Nous avons hérité du principe westministerien selon
lequel seul des élus peuvent accéder à des fonctions ministérielles. C’était sans
doute tout à fait normal lorsque le monde était beaucoup moins complexe que
maintenant. Nous avons mesuré, suite au naufrage récent, la somme des
connaissances requises pour gérer l’accident et ses conséquences. C’est
pourquoi le moment est venu de modifier la Constitution de la République
pour donner au Chef du Gouvernement la possibilité de se choisir des
ministres ayant les connaissances voulues pour diriger des ministères
techniques. Et Dieu sait s’il en faut au ministère de l’économie bleue, ne
serait-ce que pour la prévention des risques, tâche qui nous incombe de par
notre juridiction exclusive sur ce vaste espace marin.
Le social
Tournons-nous enfin vers le social, puisque toutes les mesures à considérer et
à prendre, en matière de redressement économique comme de gouvernance
politique, ont pour objectif le mieux-vivre du citoyen mauricien. Quel qu’il soit,
en termes de communauté ou de caste ou de couleur politique, il s’attend à un
traitement de citoyen selon ses droits et ses capacités. Il n’y a de la place, ni
pour le clientélisme, ni pour le favoritisme.
Il va de soi qu’un regard particulier est nécessaire pour ceux qui courent le
risque de ne pouvoir s’en sortir par eux-mêmes, notamment (a) les démunis
avant même que la pandémie ne frappe et (b) la partie inférieure de la
classe moyenne qui risque de rejoindre ces démunis-là. Il est évident que
nous serons tous, du plus grand au plus petit, affectés par la décroissance de
2021, mais en souffriront davantage ceux qui n’e disposent pas d’un coussin de
réserves pour amortir les coups.
Dans un tel contexte, où la déprime risque de se répandre dans les familles, les
services sociaux de l’Etat sont interpellés. Le moment n’est-il pas opportun
pour introduire un service de visites à domicile chez les familles inscrites au
registre du ministère de la Sécurité Sociale ? Ces familles-là sont aidées
financièrement, et c’est tout à fait louable. Mais est-ce suffisant en ces temps
de crise ? Le réconfort psychologique n’est pas un luxe, mais une nécessité. A
l’occasion de telles visites, des conseils pourraient être prodigués à des
familles confrontées à l’éducation des enfants, à la garde des grands-parents,
ou encore au chômage.
On ne peut évoquer les aspects sociaux de la présente situation sans
mentionner l’introduction de la CSG (contribution sociale généralisée) dès ce
mois de septembre 2020.Dans le discours du budget, la CSG a été présentée
comme devant s’appliquer à tous les salariés de manière progressive, les
cotisations employeurs/employés évoluant de 4,5% à 9%, une fois passé le
seuil de Rs.50 000 de salaire mensuel. Cette présentation-là en faisait une
mesure favorable, notamment en termes d’épargne accrue pour les vieux
jours, surtout que les contributions au National Pensions Fund ne portent que
sur un salaire mensuel maximum de Rs.18 740. Malheureusement, on devait,
par la suite, apprendre que les fonctionnaires verraient leurs contributions être
prises en charge par le Trésor Public, soit une augmentation de salaire
déguisée. De plus, les contributions des exercices 2020-21 à 2022-23 seront
versées, tout bonnement, au Trésor Public ( Consolidated Fund) et serviront à
financer les dépenses publiques. On est bien loin de l’aspect coup de pouce à
l’épargne que le discours avait laissé entendre. Et tout cela pour honorer une
promesse électorale de pension accrue à une population vieillissante !
Le ministre l’a bien avoué : « Et demain, nos enfants contribueront à nous
assurer une retraite décente. » (para.181).C’est un « nous » très généralisé, qui
s’étend tout le long de l’échelle des revenus, et on ne peut qu’espérer, surtout
en ces temps exceptionnels marqués par le COVID 19, que ces enfants-là
obéiront sagement à l’appel du ministre et de ses successeurs !
En guise de conclusion
Nous avons, tour à tour, évoqué des actions susceptibles de remettre notre
pays sur les rails, d’abord en matière d’activités économiques appropriées,
puis en terme d’une gouvernance politique efficace, et enfin pour le bien de la
population tout entière avec un souci particulier pour les plus vulnérables.
L’heure est maintenant à l’action, et surtout à la prise de décisions qui sortent
des sentiers battus. Car rien n’est comme avant. Le virus et le naufrage sont un
avertissement pour nous, comme le furent jadis les cyclones Alix et Carol.
Comme le dit si bien la langue anglaise, c’est un wake-up call. Il nous
appartient maintenant de nous réveiller et de passer à l’action, tous ensemble
et pour le bien de tous.
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