Au seuil de 2022
L’année qui s’annonce sera la troisième à être marquée par la pandémie. Il n’est
guère question de prédire, tel un magicien, de quoi sera faite cette année
nouvelle. Livrons-nous plutôt à l’exercice bien connu qui consiste, en scrutant
l’avenir, à identifier les forces et les faiblesses de l’économie mauricienne en
cette fin de 2021, tout en nous projetant vers le proche avenir avec ses
opportunités, mais aussi avec ses menaces.
Toutefois, avant de nous livrer à cet exercice, il est bon de rappeler brièvement
certains faits et chiffres qui serviront à illustrer la situation dans laquelle se trouve
l’économie mauricienne en ce moment.
-Le Produit Intérieur Brut(PIB) par tête d’habitant est estimé à Roupies 366 827,
soit 8,1% de plus qu’en 2020.Ceci est le résultat de la croissance du gâteau
national fabriqué à partir du déploiement et de la gestion de nos ressources en
capital et en main- d’œuvre, lequel a grossi de 5,4% de 2020 à 2021. Le Produit
National Brut de la République, incluant les revenus provenant hors de nos
frontières, est estimé à 509,3 milliards de roupies, soit environ 12 milliards de
dollars US.
-Exprimé par tête d’habitant, le PIB de Maurice est égal à 8 600 dollars US, ce qui
se compare très favorablement à celui de Madagascar (500 dollars US), à celui
de l’Inde (2120 dollars US), ou même à celui de la République Sud-Africaine (6860
dollars US). Il va sans dire que, si la pandémie n’avait pas frappé de plein fouet
notre économie durant ces deux dernières années, notre revenu par tête aurait
été plus élevé et nous serions encore au top niveau du podium international,
comme nous y étions en 2019.
- L’importance du commerce international dans notre économie a été, maintes
fois, soulignée. Par exemple, la somme de nos importations (220,6 milliards) et de
nos exportations (136,7 milliards) de biens et de services est estimée, en cette
année 2021, à 357,3 milliards de roupies, soit quelque 77% du PIB. C’est dire
comment nous devons garder l’œil sur notre stock de devises fortes, notamment
le dollar US, l’euro et la livre sterling. Fort heureusement, nos réserves en devises
étrangères sont conséquentes : selon des chiffres officiels de la Banque de
Maurice, elles s’élevaient à 335,4 milliards de roupies au 30 septembre 2021, ce
qui équivaut à une couverture de nos importations égale à 19,6 mois.
-S’agissant des finances publiques, la situation n’est pas réconfortante au premier
abord. La panne prolongée de l’économie a résulté en une hausse de la dette
publique, causée par des moins-values fiscales et des débours additionnels à des
entreprises afin qu’elles puissent rémunérer leur personnel en chômage
technique. Au 30 juin 2021, la dette publique s’élevait à 419,1 milliards de
roupies, soit 78,8 % du PIB. La projection au 30 juin 2022 est égale à 456,6
milliards, soit 82,8% du PIB. On est, toutefois, quelque peu rassuré de constater
que 42,6 % de la dette publique est à long terme, ce qui nous donne le temps de
souffler et de renforcer le PIB, afin de réduire le poids de la dette publique. A
souligner aussi le fait que la dette publique est majoritairement de source locale
(selon les prévisions : 74,1% au 30 juin 2021 et 78,3% au 30 juin 2024], ce qui
diminue la pression sur la gestion des devises étrangères.
Voilà donc un portrait à grands traits de la physionomie macroéconomique de
notre pays, au moment où nous abordons l’année 2022. Procédons maintenant à
l’exercice envisagé ci-dessus.
Les forces de notre économie
Au tableau des forces, on peut en identifier trois :
- La première est la diversification des activités économiques. On ne finira
jamais de rappeler comment un pays à monoculture de la canne à sucre a,
en l’espace d’une vingtaine d’années, de la décennie 70 à la décennie 90,
réussi le pari de développer un vibrant secteur manufacturier avec
l’industrie textile, une industrie touristique de haut niveau, un port franc,
une plateforme financière pour des transactions transfrontalières, et des
services de télécommunications internationales. Cette diversification-là
nous permet de surmonter des catastrophes qui peuvent s’abattre sur l’un
ou l’autre secteur d’activités au moment où l’on ne s’y attend pas. Et c’est
ainsi que notre pays a réussi à mieux faire face au choc de la pandémie
qu’à celui des deux cyclones dévastateurs de 1960, lesquels avaient aplati
des champs de canne à sucre, la seule industrie digne de ce nom à cette
époque-là.
- La deuxième force est la capacité, doublée de la volonté, des Mauriciens
de se mettre à l’œuvre lorsque la situation l’exige. L’exemple-type est
notre réaction à tous les niveaux de la société d’alors de relever le défi du
développement de nos ressources, après la catastrophe des deux
dévaluations successives de la roupie en 1979 et en 1981, elles-mêmes
occasionnées par une décennie marquée par le gaspillage sur fonds de
combats politiques majeurs. C’est ainsi que Maurice a vu son économie
décoller dans une frénésie de plein emploi, orchestrée par une
gouvernance politique adéquate et un déploiement d’efforts concertés à
tous les niveaux de la société d’alors.
- La troisième force prend la forme des ressources naturelles caractérisant
toutes les iles qui constituent la République. Avec notre climat sous-
tropical et abondamment ensoleillé, notre mer bleue et nos plages de sable
fin, nous sommes des privilégiés de la nature.
- Ajoutons-y une quatrième force. Suite à une décision des instances
onusiennes, concernant la souveraineté des pays sur des espaces maritimes
situés dans leur voisinage, la République mauricienne a le droit d’exploiter
2,3 millions de kilomètres carrés ( dont 0,4 millions conjointement avec
les Seychelles) d’espace maritime dans le sud-ouest de l’Océan Indien.
Voilà qui nous fait entrevoir la possibilité qu’éventuellement, on cessera de
mettre l’accent sur la petite taille de notre économie. A condition,
évidemment, que nous sachions, comme dans les années 80, exploiter les
opportunités quand elles se présentent.
Les faiblesses de notre économie
Comme déjà évoqué plus haut, les faiblesses de notre économie
proviennent de sa très grande dépendance du commerce international,
aussi bien pour les besoins en biens et services importés que pour les
marches désireux de faire confiance à nos produits et services. La forte
concurrence internationale est caractérisée par des exigences de qualité
de premier ordre et de prix concurrentiels. De telles exigences du marché
ne peuvent être honorées que si la productivité des facteurs de production
est rigoureusement observée.
Or, la productivité ne se porte pas bien au niveau global de l’économie
mauricienne. S’agissant de la productivité de la main- d’œuvre, elle n’a
augmenté que de 1,6% en 2019, après avoir enregistré des gains de 2,4 %
en 2017 et de 3,7 % en 2018. Même son de cloche par rapport à la
productivité du capital : 1% de gain en 2017, 0,4% en 2018 et une
diminution de 0 ,3% en 2019.En gros, une productivité des facteurs de
production qui croit à un rythme décroissant.
Il va sans dire que la productivité a beaucoup chuté en 2020 et en 2021
suite aux arrêts imposés à l’économie. Il est fortement souhaitable qu’au
fur et à mesure que l’activité normale reprend ses droits, des mesures
soient prises, aussi bien dans les entreprises qu’au niveau des décideurs
politiques et des syndicats, en faveur d’un smart working visant à mettre
les meilleurs outils technologiques entre les mains d’une main- d’œuvre
bien formée, motivée et encadrée.
Le profil démographique de la République est aussi une faiblesse de
l’économie mauricienne. Il y a lieu de rappeler deux des principales
caractéristiques de ce profil: (a) la baisse du taux de natalité depuis
plusieurs années, et (b) la hausse de la longévité. S’agissant de la natalité, il
est constaté que les femmes en âge de procréer n’atteignent plus en
moyenne le nombre de deux enfants, celui-ci étant le taux requis pour la
stabilisation de la population d’un pays donné. Il ressort de ces deux
aspects de l’évolution démographique du pays que, de plus en plus, un
nombre grandissant de personnes âgées et à la retraite dépendra de
l’activité économique d’une population jeune en nombre déclinant. Une
des solutions sera le recours à la main-d’œuvre importée, comme on le voit
déjà, avec pour conséquence, une pression sur notre stock de devises, ces
travailleurs immigrés rapatriant une bonne partie de leurs salaires pour
subvenir aux besoins de leurs familles.
La baisse de natalité comporte aussi une autre conséquence qu’il est bon
de souligner. Le monde entier est en pleine révolution numérique et
digitale, et Maurice doit s’y adapter. Mais l’adaptation aux pratiques
découlant de toutes ces nouvelles technologies est singulièrement
laborieuse pour les personnes d’âge mur ou âgées . Autrement dit,
l’adaptation de l’économie mauricienne aux méthodes modernes de travail
et d’échanges risque de prendre le plomb dans l’aile, avec des effets
négatifs sur la productivité, notamment.
Les opportunités
Qu’à cela ne tienne, venons-en aux opportunités qui frappent aux portes de
notre économie au seuil de 2022. Ces opportunités sont au nombre de
deux : le renouveau du secteur agricole et la promotion de l’économie
circulaire.
- La contribution du secteur agricole au PIB peine à atteindre 4 %, dont 0,5%
pour l’activité cannière et 3,5% pour les plantations et la pêche. Ces chiffres
ne peuvent qu’interpeller. L’expérience séculaire mauricienne en matière
de culture de la canne se perdra-t-elle parce que notre sucre ne parvient
plus à se vendre sur les marchés internationaux ? Quand aurons-nous une
vibrante politique énergétique, incorporant tout un volet de remplacement
de l’essence importée par de l’éthanol fabriqué à partir de la mélasse
provenant de l’exploitation de nos cannes ? Le Brésil nous montre la voie
en ce domaine.
- Et la pêche? Avons-nous fait suffisamment pour développer cette industrie
essentielle à notre approvisionnement alimentaire ? Le capital financier
doit être conséquent afin que les bateaux de pêche soient bien équipés. Et
le capital humain, c’est-à-dire, les pêcheurs doivent bénéficier de formation
et de rémunérations adéquates.
- Quant à l’économie circulaire, elle a droit à toutes les attentions dans
notre pays, après que le plastique a été largement banni par une législation
appropriée. La collecte des ordures d’une manière rationnelle, ainsi que
leur recyclage dans la mesure du possible, est une manière d’amorcer cette
économie circulaire dont l’objectif est de réutiliser tout ce qui est
récupérable et ainsi réduire l’empreinte carbone des activités humaines.
- Telles sont des opportunités qui sont à notre portée et que nous devons
saisir au moment où nous abordons une année nouvelle, elle-même
fortement marquée par les nouvelles normes que la pandémie nous
impose.
Les menaces
En tout premier lieu, il y a celles dont la nature peut être responsable.
Elle a bien épargné notre pays depuis le début du siècle, mais elle finira
bien par se manifester de manière terrifiante ou dramatique à travers des
cyclones ou des inondations. Il est dans nos intérêts de veiller à la bonne
tenue de nos infrastructures - celles du domaine public, comme celles qui
nous appartiennent à titre personnel -, de nous assurer de leur bon état
d’entretien et de leur solidité afin qu’elles puissent faire face à des
cataclysmes naturels.
La deuxième menace qui nous guette au moment d’aborder 2022 est celle
d’une certaine lassitude parmi la population, après ces deux années
fortement marquées par des confinements et autres dérangements. La
tentation sera d’autant plus grande si la pandémie continue de sévir. C’est
dans ce genre de situation critique qu’il nous faudra tous nous rappeler les
prouesses accomplies, il y a quarante ans, durant les années 80.
En guise de conclusion
Telles sont les réflexions qui viennent à l’esprit au moment où on se
prépare à accueillir l’année 2022. En premier lieu, un profil de l’économie
mauricienne nous a aidés à prendre conscience de son degré d’ouverture
au monde et de l’étendue de la diversification de ses activités
économiques. La capacité des Mauriciens à retirer le pays de l’ornière dans
les années 80 a été rappelée.
Les opportunités à saisir dans les mois qui viennent sont dans le domaine
de l’agriculture, de la pêche, ainsi que dans l’économie circulaire. Sachons
nous mettre à l’œuvre et tirer le maximum de bénéfices de la belle nature
qui nous entoure, tout en sachant nous prémunir contre des risques de
déchainement de sa part.
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