A l’avant –veille du budget 2022-23
A l’avant –veille du budget 2022-23
La question qui est sur les lèvres de tous ceux qui s’intéressent au prochain
budget est la suivante : quelle est la marge de manœuvre du ministre des
Finances ? Puis, il y a une question subsidiaire qui s’exprime ainsi : quel est le
bénéfice personnel auquel je puisse aspirer à partir des propositions de ce
budget ?
Voilà bien deux questions qui nous éloignent de l’objectif primordial du budget
national, lequel consiste à établir la liste de toutes les dépenses publiques
prévues pour l’exercice à venir, soit dans le cas présent, de juillet 2022 à juin
2023. Ces dépenses sont de deux ordres :
- celles dites courantes et comprenant notamment la rémunération des
fonctionnaires et celle des ministres, ainsi que les dépenses de
fonctionnement des ministères et autres institutions publiques. Ajoutons-y
les pensions aux personnes âgées et aux autrement capables, toutes les
aides sociales, et à tout seigneur, tout honneur : le service de la dette
publique.
- Celles dites de nature capitale, soit les investissements dans des travaux
publics, tels que les ponts et chaussées, les écoles, les hôpitaux, ….et le
métro.
Les dépenses courantes sont financées à partir du Consolidated Fund, et les
dépenses de nature capitale à partir du Capital Fund. Mais d’où proviennent les
financements respectifs de ces deux Funds ?
- La principale source de revenus du Consolidated Fund provient des diverses
taxes versées au Trésor Public, telles que l’income tax, les droits de douane, la
TVA, ….et les amendes. Ajoutons-y les redevances perçues par l’Etat pour le loyer
ou l’utilisation de ses biens: un exemple est celui de la location des pas
géométriques.
-S’agissant du Capital Fund, sa principale source de revenus est constituée de
prêts contractés auprès des agences internationales, telles que la Banque
Mondiale et le Fonds Européen de Développement, et de pays amis, tels que
l’Inde. Une partie de ces aides peut être sous la forme de dons, c’est-à-dire non-
remboursables, mais la majorité des crédits obtenus est remboursable avec
intérêts et constitue donc la dette publique. Quant aux débours du Capital Fund,
ce sont les investissements dans les divers projets de travaux publics, dont le
paysage mauricien regorge en ce moment, notamment avec les travaux liés à
l’extension du métro.
Voilà donc la toile de fond sur laquelle se déroule l’évènement budgétaire annuel.
Et il est de notoriété publique que, depuis des lustres, les dépenses des deux
Funds précités sont supérieurs aux revenus qu’ils engrangent, d’où la
sempiternelle question du déficit public que la pandémie n’a fait qu’aggraver
lorsque l’économie mauricienne a été mise aux arrêts.
On comprend alors que soit posée la question relative à la marge de manœuvre
du ministre des Finances. En clair, cette interrogation procède des deux
observations suivantes :
- Si le ministre fait des largesses à tous ceux qui ne s’attendent qu’à des
réductions de la fiscalité, ou à des rehaussements de leurs salaires ou
pensions, le déficit s’enfle, et la dette publique de même.
- Si le ministre se met à chercher de nouvelles sources de revenus, telles que
l’imposition d’une taxe sur les bâtiments et maisons en zones rurales, il
risque fort de s’attirer les foudres des électeurs concernés.
Et c’est ainsi que le ministre se retrouve, malgré lui, sur la corde raide,
débalancé par ceux qui croient à tort en la toute-puissance de ceux qui
détiennent les clefs des fonds publics, et n’attendent du budget que des
prébendes personnelles.
C’est pourquoi le ministre des Finances devrait situer la présentation de ce
budget dans un contexte de renouveau de l’économie et de la société
mauricienne. Il doit impérativement voir au-delà du seul exercice financier
2022-23, car les doubles chocs de la pandémie et du conflit russo-ukrainien,
ont considérablement modifié le contexte international dans lequel évolue
notre économie.
Voici quelques pistes que le ministre pourrait nous indiquer pour la reprise en
charge de notre économie par nous-mêmes, mais aussi avec l’aide et la
collaboration des instances internationales et des pays amis.
Il nous revient, en effet, à nous Mauriciens, d’évaluer de manière critique
l’évolution de l’économie mauricienne. Quand nous étions au fond de l’abime
en 1982, après deux dévaluations successives de la roupie, en 1979 et en 1981,
nous, la population mauricienne dans son ensemble, nous nous sommes
ressaisis : avec l’aide active et bienfaisante des organisations internationales
(Fonds Monétaire International et Banque Mondiale), nous avons revigoré la
zone franche manufacturière et ouvert un port franc. L’industrie du tourisme
s’est développée davantage, et durant les années ’90, de nouvelles activités
économiques ont pris naissance, notamment les services financiers
transfrontaliers et les services de technologie. Et nous nous sommes mis au
travail, en réduisant nos congés publics d’une trentaine à la fin des années ’70
à une douzaine !
Les Mauriciens des années ’80 en avaient marre de lé temps margoze des
décennies passées. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Les jeunes,
notamment, et toute la population, en général, est tombée, en 2020, de bien
plus haut qu’en 1980.A la veille de la pandémie, en janvier de cette année-là,
notre pays avait rejoint le haut du podium en matière de revenu moyen par
tête d’habitant. La chute est bien plus conséquente, cette fois-ci, et il nous faut
donc davantage d’énergie pour nous relever.
C’est à ceux qui nous gouvernent à faire les premiers pas décisifs. Le leitmotiv
de ce budget pourrait bien être : Tous au travail. Il s’agira, bien entendu, de
moduler l’application de cet appel selon les diverses situations dans lesquelles
se trouvent les citoyens de ce pays, notamment par rapport à l’âge, la santé, et
les disponibilités familiales ou professionnelles. En gros et en résumé, c’est un
vibrant appel aux forces vives de ce pays qui est requis, et cet appel doit
venir avec force de nos gouvernants.
Et un tel appel général à retrousser nos manches doit être concrétisé selon les
modalités suivantes :
- en tout premier lieu, un renouveau de l’agriculture mauricienne avec deux
objectifs en vue : une hausse substantielle des produits alimentaires, allant des
légumes aux fruits, des viandes aux poissons et fruits de mer, des grains au
blé.
A moyen et long terme, ce renouveau de l’agriculture doit aussi
incorporer la culture d’une canne à sucre plus riche en matière
combustible que celles de nos champs actuels, afin d’accroître
progressivement notre production annuelle d’énergie renouvelable, et
ainsi réduire notre dépendance du charbon importé à grands frais.
- une revalorisation de nos villes et villages, afin de convaincre les
touristes de prévoir, durant leur séjour, quelques escapades loin de
la plage et de la mer. Des jardins publics bien fleuris, des théâtres
enfin rouverts, des musées culturels, voilà autant d’attractions qui
permettraient à nos touristes d’apprécier la spécificité de cette
population mauricienne bigarrée, dont les ancêtres sont venus de
trois continents. Et augmenteront ainsi les si précieuses recettes en
euros et en dollars que réclame notre balance commerciale, tant
mise à mal par notre recours aux importations.
- une touche locale bien mauricienne pour les produits
manufacturés dans les entreprises de zone franche. Ceci nous aidera
à concurrencer avec succès sur les marchés internationaux ceux de
nos concurrents dont les coûts de production sont forcément moins
élevés que chez nous, en raison du moindre développement de leur
économie nationale.
- une modernisation du port, afin qu’il puisse servir de pont vers ces
pays d’Afrique et d’Asie auxquels nous sommes liés, grâce à ces
accords de libre-échange en vigueur depuis l’an dernier.
- une intensification des activités du secteur financier
transfrontières, avec pour objectif d’offrir à des pays en quête
d’investissements et aux investisseurs potentiels une plateforme
aussi efficace que celle qui a fonctionné entre Maurice et l’Inde.
-une revalorisation du travail manuel, grâce à une formation
appropriée dès les bancs de l’école, accompagnée d’une
reconnaissance par la société de la profession concernée. Par
exemple, le recours à une main d’œuvre étrangère pour des
opérations de boulangerie suscite bien des interrogations. Tout
comme l’émigration de jeunes Mauriciens en quête d’un emploi
adéquatement rémunéré. Ce type d’exode de jeunes Mauriciens
doit être pris au sérieux, compte tenu du vieillissement de notre
population résultant de l’insuffisance et la diminution continue du
nombre des naissances et de l’allongement de la vie.
-et, avec des effets à plus long terme, la formation systématique de
nos jeunes générations dans ces nouvelles technologies qui
constituent la révolution numérique actuelle.
Voilà, donc, brièvement quelques pistes que pourrait proposer à la
population mauricienne le ministre des Finances lorsqu’il présentera
le budget national le 7 juin prochain. Il va de soi que ce ne sont que
des pistes à étudier et que c’est à l’Economic Development Board de
travailler ces dossiers.
Mais l’économie d’un pays n’opère pas dans un vacuum. Au
contraire, elle est imbriquée dans le comportement de la population.
C’est pourquoi le ministre devrait saisir l’occasion de la grande
écoute à laquelle il aura droit pour rappeler à la population tout
entière que l’on ne construit pas dans le désordre , qu’il soit social
ou conjugal, privé ou public. Or, l’actualité de ces temps derniers
n’est guère favorable dans ce contexte. C’est pourquoi le discours du
budget pourrait sortir des sentiers battus et, au nom de la remise sur
pied de notre économie, proposer une semaine de refondation
sociale, laquelle visera à aider tous les Mauriciens à se comporter
d’une manière digne du pays civilisé que nous sommes. Et à cette
semaine de refondation sociale devraient participer toutes ces forces
vives de notre pays que sont les associations et institutions
culturelles, religieuses, caritatives, sportives et professionnelles.
Devront aussi être présents des représentants du gouvernement,
des patrons et des syndicats. En fin de compte, l’avenir de notre pays
ne sera que selon ce que nous en ferons.
Souhaitons que l’évènement budgétaire de cette année soit
l’occasion de ce début de remise en forme après les coups durs
subis depuis 2020.
2024
2023
2022
2021
2020
2019
2018
2017
2016
2015
Publications
Archives