Quand la consommation mène le bal
Quand la consommation mène le bal
Ce sera Noël dans deux semaines, la consommation bat son plein : centres
commerciaux et supermarchés débordant d’articles et pleins de clients, routes
embouteillées à toute heure du jour et en soirée, restaurants en pleine activité.
Ajoutons à la frénésie ambiante les heures passées devant la télé ou en
compagnie de l’inséparable portable, pour applaudir son équipe préférée
lorsqu’elle marque un but au Qatar !
Eh, oui ! Ce n’est pas le moment pour se serrer la ceinture, ni pour éviter de
bruler ce fioul si cher, ni pour regretter que notre équipe nationale du ballon rond
ne brille guère en ces temps-ci dans des rencontres internationales. En effet,
depuis 2016, notre pays dégringole dans le classement mondial de la FIFA,
passant du rang 145 à celui de 180 en 2022. Il n’y a pas de quoi pavoiser !
Mais ce qui compte, c’est la consommation : oublions nos misères pour un
moment de fêtes, mais à partir de janvier prochain, nous frapperons, sébile à la
main, au guichet du gouvernement.
Les messages des indicateurs
C’est alors que quelques indicateurs nous rappelleront que notre économie n’a
pas de quoi pavoiser.
-Avant que ne frappe la pandémie, en janvier 2020, notre pays visait une
croissance annuelle de 4 pour cent, sinon davantage. La moyenne de 2014 à 2018
a été égale à 3,6% ; en 2019, la croissance n’a atteint que 2,9%. Ouvrons, ici, une
parenthèse pour signaler que l’estimation de 7,2 % pour l’année 2022 est le
résultat d’un ratio entre des incomparables : une année en plein essor suite à la ré
ouverture post Covid(2022) et une année encore perturbée par la
pandémie(2021). On ne se sert pas d’un ratio entre des incomparables pour
juger la présente situation.
- Ce gâteau, quelque peu maigrichon, que nous produisons d’année en année, est
largement destiné à être consommé. Nous n’en n’épargnons, en moyenne
annuelle, que 10,5% depuis 2014, alors qu’en 2013, nous avions atteint 15,1% et
que durant la grande décennie du développement, dans les années ’80, nous
avions atteint 23,3% en 1985 et 32,9% en 1987.Nous savions , alors , que le
progrès , loin d’être automatique, se mérite et qu’il est la conséquence de
l’investissement, et non de la consommation.
-Ici encore, comme on pouvait s’y attendre, le bât blesse. Depuis 2014, la
moyenne annuelle des investissements à partir du gâteau national est égale à
18,3%, alors qu’elle avait atteint 23% en 2013. Et les défaillances proviennent
aussi bien du secteur public que du secteur privé. Pour le public, moyenne de
3,6% contre 5,5% en 2013, et pour le privé, moyenne de 12,4% contre 17,5%
en 2013.
Nul besoin d’être surpris que notre train de vie national n’ait des répercussions
négatives sur les finances publiques. C’est ainsi qu’au 30 juin 2022, la dette
publique de Maurice était égale à quelque 11,13 milliards de dollars US, soit 385,6
milliards de roupies. Ce montant dépasse les trois-quarts du gâteau national que
les actifs parmi nous produisons, chaque année, par notre labeur physique et
mental. Il faudra bien payer les intérêts, d’année en année, sur ces dettes-là, et
finalement les rembourser. Heureusement que 72,8% de ces dettes sont à long
terme. On pourra donc attendre voir venir, mais l’échéance arrivera. Autant se
mettre à l’œuvre sans perdre de temps, afin de grossir le gâteau national d’année
en année.
C’est pourquoi nous, les Mauriciens, gouvernants aussi bien que gouvernés, nous
devons donner aux générations qui montent l’exemple d’une maitrise de la
situation dans laquelle se trouve notre pays. Ils seront, demain, à la barre !
Certes, nous pourrions rappeler les paroles de ce roi de France qui se plaisait, très
égoïstement, à proclamer: après moi le déluge, mais si nous avons un minimum
de sentiment citoyen, nous devrions rappeler la boutade satirique du poète
romain Juvenal qui accusa des citoyens de son temps, au premier siècle, de ne
chercher, auprès des autorités ,que du pain et des jeux, (panem et circenses) sans
se soucier de quoique ce soit d’autre. Et cela plaisait aux autorités de ce temps-là,
car elles avaient beau jeu de plaire au….peuple ! Quid de celles d’aujourd’hui ?
En fait, nous connaissons les faiblesses de notre économie nationale. Le montant
élevé de la dette publique a été évoqué plus haut. Mais ce qui est plus
fondamental, c’est que nous sommes devenus trop dépendants des importations
de biens et de services. Certes, il n’est pas question de se comporter comme si on
devrait être auto-suffisant : la liberté des échanges transfrontaliers est un acquis
international qui nous est favorable, notamment en matière d’exportations de
nos produits manufacturiers, de nos services touristiques et de nos conseils et
prestations financières et bancaires.
Mais il est impérieux que, sans perte de temps et sans hésitation, nous nous
organisions pour mettre un frein à la dégradation de nos réserves en devises
étrangères. Sous la pression du Covid et du conflit russo-ukrainien, ces réserves-là
n’ont augmenté que de 17,4 milliards entre juin 2019 et juin 2022 (286,9 contre
269,5), et ce, après avoir plafonne à 372,7 milliards en juin 2021.Cest un signe
qu’un redressement de la situation est urgent, car il nous faut éviter une
catastrophe en ces temps d’incertitude économique sérieuse au niveau
international.
Ne nous exposons pas à avoir recours, comme après les deux dévaluations
d’octobre 1979 et de septembre 1981, aux guichets du Fonds Monétaire
International (FMI) et de la Banque Mondiale, assortis de conditions strictes
auxquelles les gouvernements d’alors eurent à obtempérer. Ce qui nous fut très
bénéfique à l’époque et contribua significativement à l’envol de l’économie
mauricienne.
Mais vu la réputation acquise par Maurice depuis ces quatre dernières décennies
et celle que nous devons préserver vis-à-vis des investisseurs étrangers que nous
nous exerçons à attirer chez nous, ce serait catastrophique de nous retrouver
soumis à de nouvelles directives sévères des deux célèbres institutions de Bretton
Woods.
C’est pourquoi nous devons impérativement revoir en profondeur ces pans
faibles de notre économie qui sont l’agriculture locale, la pêche maritime et le
numérique.
-A tout seigneur, tout honneur. Lorsque le Professeur Meade avait fortement
condamné l’ultra dépendance de l’économie mauricienne d’une unique industrie
digne d’être ainsi désignée- la culture de la canne et la fabrication du sucre- , qui
eut alors pensé qu’ un demi-siècle plus tard, le secteur agricole en général- ne
représenterait que 3,3%% du PIB (Produit intérieur brut) annuel, le sucre en
faisant partie à hauteur de 0,5% seulement ? Cette dégringolade du roi sucre
s’explique, certes, par la perte des marchés traditionnels, particulièrement en
Europe, mais aussi par la montée en puissance des autres secteurs de produits
manufacturiers et de services, grâce aux politiques de diversification
recommandées par ce même Professeur Meade, et deux décennies plus tard, par
le FMI.
Mais nous voici parvenus à un nouveau tournant, c’est celui d’une réactivation de
l’agriculture. Ce n’est certes pas le sucre qui en serait le chef de file, même si les
sucres spéciaux mauriciens destinés aux marchés internationaux rendent un
hommage particulier à ses fabricants dans la plus pure tradition mauricienne.
L’utilisation des sous-produits, particulièrement la mélasse, pour la fabrication du
rhum, et l’exportation à des fins industrielles, méritent aussi d’être signalées.
L’agriculture dont notre pays a maintenant besoin, c’est celle qui consiste à
appliquer des méthodes professionnelles de gestion et des outillages modernes
aux activités suivantes : les plantations de légumes et de fruits, l’élevage des
cerfs, des cabris, des vaches et des lapins, la culture du maïs, notamment pour la
nourriture de tous ces nouveaux animaux,……Et, dans un autre ordre d’idées, il
faut appliquer les mêmes principes d’une gestion moderne à la pêche,
notamment sur ces millions de kilomètres carrés qui sont mis à notre disposition
par les Nations-Unies.
Nous ne sommes plus au temps de grandpapa aux champs, ni à celui du pauvre
pêcheur de poissons dans des vieux rafiots. L’heure est à l’outillage moderne, ce
qui suppose une formation bien organisée et complète aux jeunes Mauriciens et
Mauriciennes, lesquels seront disponibles pour travailler dans des entreprises
modernes lancées par des investisseurs privés. Et, en conséquence, leurs métiers
professionnels respectifs devront être dument reconnus, et leur rémunération
rehaussée en reconnaissance de leurs formations et aptitudes.
L’aide de l’Etat
Il est évident que des aides ciblées de l’Etat sont essentielles pour le renouveau
de l’agriculture et de la pêche. Il s’agit, bien sûr, de mise à disposition de moyens
financiers, mais aussi d’opportunités de stages pratiques. Tout commence dès les
bancs de l’école, avec des facilités de formation, et surtout, la reconnaissance des
études professionnelles et techniques, afin qu’aux yeux des apprenants et de
leurs parents, ces diplômes-là soient considérés aussi valables que ceux de nature
académique.
Le numérique
Voilà bien une excellente opportunité pour les jeunes de notre pays. Il ne suffit
pas de savoir pianoter sur un smartphone à longueur de journée : c’est la
formation dans les différents métiers du numérique qui compte. Car, à voir le
nombre d’informaticiens malgaches -ou autres- qui exercent dans des entreprises
mauriciennes, on a vite compris que nous avons à combler un déficit de main
d’œuvre-et de formation appropriée !
Il revient au ministère de l’Education, avec l’aide des institutions éducatives et
professionnelles appropriées, de s’assurer que les générations montantes aient à
leur disposition les outils et les moyens pour se former , soit pour une carrière
professionnelle éventuellement, soit pour une adaptation sans problème au
monde numérique qui nous envahit de par le monde.
En guise de conclusion
Voilà bien quelques réflexions qui ont été suscitées par les signes bien voyants
d’une consommation soutenue en ce mois de décembre. Il a été souligné qu’il
revient éventuellement à chacun de nous de prendre en main notre bien-être et
que celui-ci ne sera que le produit de nos efforts. De plus, ce constat qui est vrai
pour chacun de nous l’est aussi pour ceux qui nous gouvernent.
Réjouissons-nous donc sainement en suivant notre équipe préférée au Qatar et
en nous permettant quelques friandises en ces jours de fête, mais soyons vigilants
en termes de consommation, et surtout soyons prêts à nous remettre à nos
occupations et à notre travail, car à terme, notre bien-être et celui de nos
dépendants ne peut être que le fruit du déploiement de nos capacités et des
efforts que nous y portons.
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