Diagnostic de l’économie mauricienne - Recherche d’un nouveau profil
Diagnostic de l’économie mauricienne
Recherche d’un nouveau profil
En ces temps-ci, l’expression qui revient le plus souvent lorsqu’on évoque
l’avenir matériel est la suivante : il n’y a pas de visibilité. En effet, il y a de quoi
confondre et troubler les esprits quant à la situation socio-économique de
notre pays : on nous parle de récession, un mot qui n’a jamais fait partie du
vocabulaire de l’homme de la rue, on constate une progression du chômage,
les commerçants font face à une diminution de la consommation, et les
planteurs et éleveurs souffrent d’une mévente des pommes d’amour et des
œufs. Et pour rêver, on se met à lever les yeux au ciel pour admirer un de ces
rares avions qui se préparent à atterrir à notre aéroport largement sous-utilisé,
dans l’attente d’une ré ouverture complète des frontières, les nôtres et celles
d’ailleurs.
Où allons-nous donc ? Que nous réserve l’avenir ? Essayons d’y voir clair en
interrogeant quelques faits et chiffres, mais commençons par comprendre ce
que l’on entend par le mot : récession. Depuis l’indépendance en 1968, notre
pays a connu chaque année une croissance économique, sauf en 1980.Cela
veut dire que les fruits de notre travail et des capitaux que nous avons investis
ont augmenté de manière suivie et régulière, ce qui nous a donc permis
d’améliorer notre situation matérielle, d’année en année. Comme le gâteau
grossissait d’une année à l’autre, les parts revenant à chacun dans la
population grossissaient aussi. C’est ainsi que l’on a connu la progression des
salaires et des bénéfices, mais aussi celle des aides sociales aux démunis, sans
oublier les pensions de retraites.
Des faits et chiffres
Et voilà qu’on nous annonce que l’année 2020 ne connaîtra pas la croissance
économique, car l’arrêt des activités pendant le confinement et la fermeture
des frontières ont empêché nos ressources de capital humain et financier de se
déployer, de sorte que le gâteau national qui sortira du four d’ici le 31
décembre 2020, sera d’une dimension inferieure à celui de 2019. Voilà ce que
l’on entend par : récession. A ce jour, il y a eu diverses estimations de l’étendue
de la récession (ou décroissance), mais Statistics Mauritius (SM) ne s’est pas
encore prononcé. Une indication des dégâts économiques causés par le
confinement est toutefois disponible. Une récente publication de SM fait état
d’une comparaison chiffrée des comptes nationaux entre le deuxième
trimestre de 2020, marqué par le confinement, et celui de 2019. On note, par
exemple, les réductions suivantes dans la valeur ajoutée par les secteurs
d’activité suivants : hôtellerie : 6,3%, manufactures : 5,4%, construction : 4,2%,
transport : 4,1% et commerce : 3,2%. A noter également que les exportations
ont, durant ce trimestre-là, et par comparaison à celui de 2019, baissé de
52,4%.
Même si notre population n’est plus en confinement, notre pays, lui, l’est bel
et bien puisque les frontières ne sont qu’entrouvertes, ce qui empêche le plein
déploiement de nos activités hôtelières et touristiques. On sait que ce secteur
compte directement pour quelque 6 % du PIB (Produit Intérieur Brut)
mauricien, et contribue de manière significative à l’emploi, non seulement
dans l’hôtellerie et la restauration, mais aussi dans le transport, le commerce
et les activités agricoles et de pêche. Et même lorsque nous aurons eu la
témérité et l’audace d’ouvrir nos frontières à tout vent, nous risquons fort de
nous heurter à une demande touristique faiblarde, les frontières de nos
principaux réservoirs étant encore fermées.
Le virus ayant été maitrisé dans notre pays, du moins pour l’instant grâce aux
frontières entrouvertes et à la quatorzaine, nous sommes tentés-et c’est très
humain- de penser que tout est revenu à la normale. Or, tel n’est pas le cas,
du moins du point de vue économique. Nous sommes en train de puiser dans
nos réserves de devises étrangères pour financer des dépenses publiques,
largement majorées pour des soutiens, notamment le wage assistance scheme
et des prêts à des entreprises en difficulté financière.
Certes, notre stock de devises étrangères est à un niveau confortable : il était
égal à 263,8 milliards en octobre 2019. Un an après, il est égal à 279,9
milliards, soit l’équivalent de nos importations annuelles à hauteur de 12,8
mois, comparé à 12 mois, en octobre 2019. De quoi se réjouir, donc, et nulle
raison de paniquer ?
Il convient de se poser la question : d’où proviennent ces devises étrangères ?
Durant le premier semestre de 2020, les exportations ont été inférieures de
21,5% à celles de la période correspondante en 2019, le chiffre correspondant
de réduction pour les importations étant égal à 17,1%.Par ailleurs, les recettes
du tourisme en devises étrangères ont dû diminuer, vu la baisse du nombre de
touristes durant ce premier semestre de 2020, soit 53,1% par rapport à
2019.N’imaginons pas, non plus, que le stock de devises a pu être renfloué
par des investissements étrangers en cette période de pandémie. Durant le
premier trimestre 2020, ils étaient déjà inférieurs à ceux de la période
correspondante en 2019, soit 3,1 milliards comparé à 4,8 milliards. Ce serait
étonnant qu’en pleine pandémie, cette tendance baissière ait pu être
renversée durant le deuxième trimestre.
Une évidence s’impose : notre stock de devises étrangères est maintenu, grâce
à des aides reçues de pays amis et d’institutions multilatérales, comme le FMI
(Fonds Monétaire International), par exemple. Mais ces aides-là sont surtout
sous la forme d’emprunts qu’il faudra bien rembourser éventuellement, après
avoir eu à en assurer le service à travers le paiement des intérêts. Autant dire
que la dette publique mauricienne s’enfle considérablement. Alors qu’avant
l’arrivée de la pandémie, les estimations de la dette publique au 30 juin 2020
étaient à hauteur de 61,6% du PIB, elles ont, en fait, atteint 83,4%. Selon les
prévisions budgétaires de juin dernier, la dette publique atteindra 86,4% en
juin 2021 et descendra légèrement durant les deux années suivantes, soit à
82,4 % et 78,8%.
Si l’on peut comprendre cette hausse de la dette publique dans le sillage du
débalancement économique causé par la pandémie, on aurait tort de s’en
accommoder. Tout doit être fait pour revenir à des taux raisonnables, il y va
de la viabilité des finances publiques et des obligations des citoyens adultes
d’aujourd’hui envers les générations à venir.
Un souci majeur pour les mois à venir, sinon pour l’année prochaine, c’est le
niveau en hausse du chômage. Selon des chiffres récemment publiés par SM,
le nombre des sans-emplois est passé de 45 800 en mai 2020 à 57 300 en
juillet, soit un peu plus de dix pour cent de la population active. Ces
pourcentages, déjà préoccupants par leur dimension, cachent une réalité
encore plus angoissante : chez les jeunes qui sont sur le marché du travail, le
taux de chômage a atteint 31% en juillet 2020. Cela relance la question de
l’apparente incompatibilité entre (a)la formation scolaire et professionnelle
des jeunes Mauriciens et Mauriciennes et (b) les besoins du marché local du
travail. Un chiffre nous rappelle brutalement cette incompatibilité : il y avait,
en mars 2020, 31 755 travailleurs étrangers à Maurice. Toutefois,
l’incompatibilité n’est pas la seule explication de ce décalage entre l’offre et la
demande pour les emplois chez les jeunes : l’adaptation aux circonstances et
un changement de mentalité sont des sine qua non.
Notons aussi qu’en juillet dernier, sur les 498 000 personnes ayant un emploi,
378 000 opéraient dans le secteur formel, tandis que 119 200 (soit 24% du
total des emplois) opéraient dans le secteur informel, caractérisé par
davantage d’incertitudes quant à l’avenir et dépourvu de planches de salut.
Les perspectives
Notre pays et chacun de nous, Mauriciens, nous nous retrouvons dans une
nouvelle normalité. Rien n’est plus comme avant. D’un point de vue
économique, la grande majorité d’entre nous est appelée à devoir modifier
notre mode de vie, suite à des diminutions, sinon à des disparitions, de
revenus réguliers. Il y a lieu de penser que ceux qui sont dans la partie
supérieure de l’échelle des revenus parviendront à faire face aux exigences du
moment. Puis, plus on descendra le long de cette échelle des revenus,
notamment pour ceux qui occupent les échelons inférieurs de la classe
moyenne, voisins de la classe des pauvres, et pour ces pauvres eux-mêmes, les
difficultés financières pourraient être bien réelles. C’est dans ce contexte que
nous, Mauriciens, sommes appelés à changer de mentalité. Dans ce monde
moderne où nous vivons, nous avons l’habitude de proclamer, haut et fort, le
respect de nos droits. Soit ! Mais il n’y a pas de droits sans devoirs, et s’il y a un
devoir qui nous incombe à nous tous en cette ère de pandémie, c’est bien celui
de la solidarité envers les démunis.
Comment exprimerons-nous cette solidarité ? Comment la rendrons-nous
réelle ?
La première idée qui nous vient à l’esprit, c’est de contribuer à des ONG
(organisations non gouvernementales) qui œuvrent déjà sur le terrain, ainsi
qu’a des associations nouvellement mises en place pour répondre aux besoins
pressants de certaines couches de la population. C’est de l’aide ponctuelle, et
elle sera toujours nécessaire.
Mais le fameux proverbe chinois nous revient à l’esprit : si tu donnes un
poisson à un homme, il se nourrit une fois ; si tu lui apprends à pêcher, il se
nourrit toute sa vie.
L’adaptation à la situation nouvelle passe par un examen approfondi du profil
de notre économie. Des questions se posent :
- Pouvons-nous continuer à avoir une économie caractérisée par un
commerce international (somme des importations et des exportations)
supérieur à 90% du Produit Intérieur Brut ?
- Le profil du tourisme mauricien doit-il être revu et adapté aux exigences
de la nouvelle normalité ?
- Compte tenu de l’accession de Maurice à l’échelon des pays à hauts
revenus, quel est l’avenir d’un secteur textile manufacturier dont la
conception, au début des années ’70, reposait sur l’existence d’une main
–d’œuvre à bon marche ?
- Inscription sur liste noire ou pas, le secteur financier transfrontalier n’est
plus en mesure d’offrir à sa clientèle étrangère des opportunités
d’optimisation fiscale, vu les oppositions des grandes puissances à des
pratiques qu’elles jugent défavorables à leurs propres rentrées fiscales.
Avant de chercher des solutions, prenons acte de certaines réalités
incontournables : la superficie terrienne de la République est
insignifiante (1 855 km2 pour Maurice ,108 km2 pour Rodrigues, 24
km2 pour Agaléga , et les quelque 2 km2 des bancs de sable de Saint
Brandon), tandis que la superficie maritime est de l’ordre de 2,3 millions
de km2, grâce aux droits d’exploitation que nous accordent les Nations-
Unies. Pour le moment, limitons-nous à ces réalités, notre juridiction sur
Diego Garcia et ses appendices maritimes étant sujette à des
oppositions de la part de la Grande-Bretagne et des Maldives. Avec
l’existant, nous avons déjà d’énormes possibilités à exploiter. Mais nous
devons modifier notre vocabulaire lorsque nous parlons de notre patrie :
désignons-la selon sa vraie caractéristique géographique, soit la
République-Archipel de Maurice, et non pas l’ile Maurice.
Ces réalités doivent nous mener à un travail gigantesque et en
profondeur de recherches biologiques marines et énergétiques pour
identifier ce que recèle cet immense espace maritime. Puisse ce
nouveau défi que nous lance la situation post-Covid réveiller et stimuler
les preneurs de décision de notre République afin qu’ils mettent tout en
œuvre pour déceler les richesses que pourrait contenir cette superficie
maritime. C’est le moment de se présenter aux guichets des instituions
financières multinationales et à ceux des pays amis pour obtenir des
aides en vue de recherches dans cet immense espace maritime.
Parallèlement à cet immense travail de recherches, il y a des actions à
entreprendre qui sont de nature beaucoup moins éclatantes, mais dont
les bénéfices peuvent être fort valables.
-Une meilleure utilisation de notre espace terrien s’impose : conversion
des terres, autrefois sous canne et maintenant abandonnées, en
potagers pour réduire notre dépendance sur des aliments venus
d’ailleurs.
-Il conviendrait, en parallèle, d’étudier- avec l’aide du MSIRI- si ces terres
ne devraient pas à nouveau être cultivées en cannes à sucre pour une
éventuelle production de mélasse à convertir en produits énergétiques
pour notre parc automobile.
-La promotion de l’économie circulaire, grâce à une gestion rationnelle
des déchets, mais aussi par une prise de conscience que la pratique du
jetable est hautement nuisible à l’environnement.
- Une attitude bienveillante envers les produits de fabrication locale. Il
faut saluer les efforts des producteurs locaux qui ont adopté la marque
made in moris, laquelle n’est accordée que dans le respect de critères
définis. Le consommateur est ainsi protégé.
- Dans un contexte où la politique gouvernementale veut promouvoir
une industrie pharmaceutique à Maurice, il serait opportun d’étudier la
culture du chanvre médical aux fins d’exportation aux laboratoires
spécialisés. Compte tenu des risques toxiques du chanvre, il va sans dire
que sa culture devrait être soumise à des contrôles très stricts. Si les
autorités de la République sont convaincues de la contribution
éventuelle du chanvre médical à notre économie, elles devront et
pourront bien se doter des moyens les plus fiables pour en assurer la
culture, la récolte et l’exportation.
-Le monde entier est en pleine révolution numérique. Assurons-nous
que la formation dans ce domaine technologique nouveau puisse être
dispensée avec efficacité aux jeunes pour qu’ils en aient une parfaite
maitrise et puissent, le cas échéant, devenir des acteurs dans ce
domaine, et pas seulement des consommateurs. Rappelons que dans les
prochaines décennies, le vieillissement de la population mauricienne
donnera des ailes à l’industrie de la robotique à Maurice, et qu’elle sera
une source d’emplois pour des ingénieurs spécialises et des opérateurs.
Telles sont quelques-unes des activités économiques nouvelles que nous
pourrions entreprendre. Mais elles resteront lettres mortes, si nous, toute la
population mauricienne dans son ensemble, ne se met pas au travail. Ce que
nos prédécesseurs ont réalisé dans les années 80 et 90 avec le décollage
économique, sommes-nous en mesure aujourd’hui d’en faire autant en
réorientant l’économie vers des horizons nouveaux ?
La clef de la réussite se trouve dans un changement de mentalité, et cela
nous concerne tous. Nous sommes appelés à revoir notre niveau de
consommation (en 2019 :75,9% du PIB pour les ménages et 15,3 % pour le
secteur public), nous devons aussi nous méfier de l’endettement excessif :
celui du secteur public a déjà été commenté ci-dessus, celui des ménages était,
en septembre 2020, et selon les statistiques officielles de la Banque de
Maurice, égal à 161,5 milliards de roupies, soit 28% de l’endettement total des
agents économiques du pays. Et l’on ne sait pas quel est l’endettement des
ménages auprès des établissements non bancaires et des usuriers !
Ce changement de mentalité est aussi souhaitable chez ceux qui nous
gouvernent et ceux qui voudraient les remplacer. La bonne gouvernance du
secteur public est essentielle. Celle des entreprises l’est tout autant, ainsi que
celle des syndicats et autres associations œuvrant en faveur des droits
humains.
L’avenir est entre nos mains. En 1960, lorsque notre pays encore sous le joug
colonial a été balayé par deux cyclones successifs, Alix et Carol, nous avons dû
attendre une bonne dizaine d’années avant de commencer à modifier le profil
de notre économie, grâce à la diversification manufacturière. Par la suite, nous
avons intensifié la diversification grâce au tourisme, le port franc, les services
financiers transfrontaliers, et le numérique La résilience et les capacités de
rebond de la population mauricienne de cette époque-là ont été amplement
démontrées. Sont-elles encore présentes et actives en ces temps
nouveaux que nous vivons ? Telle est la gageure que chacun de nous doit
relever, dans une action commune, non teintée par l’a priori qui peuple trop
souvent nos attitudes et nos discours.
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