Après la pandémie...
Après la pandémie…..
Le choix impératif de normes nouvelles
Le monde a changé : personne ne contestera cette nouvelle vérité de La
Palice.* Le virtuel devient la norme pour les échanges, les réunions et
les conférences, même pour celles réunissant des participants situés
dans plusieurs pays de la planète ; le présentiel est en passe de devenir
l’exception. Par ailleurs, les échanges internationaux de marchandises à
travers les frontières sont mis à mal par des fermetures portuaires
intempestives et des retards des bateaux chargés de cargos. S’agissant
des mouvements touristiques, ils sont gênés par des fermetures de
frontières et des impositions de quarantaine à l’arrivée dans le pays
choisi pour passer les vacances. Bref, la formidable ouverture des
frontières qui a marqué le vingtième siècle n’est plus ce qu’elle était
devenue car l’accueil des étrangers est sujet aux protocoles sanitaires
Tout aussi décevant est le sort réservé au commerce international des
marchandises : devant des difficultés et des retards
d’approvisionnement en produits alimentaires et en produits
manufacturés venant d’ailleurs, des voix se font de plus en plus
entendre en vue de l’autosuffisance. Si cette démarche est
compréhensible, elle doit toutefois être consciente d’une réalité,
amplement démontrée durant le vingtième siècle, à l’effet qu’une libre
circulation des marchandises favorise la qualité et empêche la pratique
des monopoles au détriment des consommateurs. Autant dire que la
vigilance doit être de mise, afin de s’assurer que des opérateurs ne
profitent des dysfonctionnements dans la chaîne d’approvisionnement.
Avoir l’œil sur les risques de pratique monopolistique
Cela dit, il est évident que la grande ouverture des frontières souhaitée
par l’Organisation du Commerce International (OMC) est maintenant
mise à mal. Voilà bien une des victimes de la pandémie : l’OMC a vu le
jour en 1995, couronnant ainsi des décennies d’efforts à travers le
monde pour une plus grande liberté des échanges commerciaux à
travers les frontières. Et voilà que la pandémie nous force à modifier ce
louable objectif, compte tenu des risques d’approvisionnement causés
par elle. Il reviendra aux autorités compétentes de veiller à des abus qui
pourraient surgir en cas de situations de monopole relativement à des
produits locaux et de sanctionner les contrevenants.
Production locale : tous concernés
Il va sans dire que l’accent doit être maintenant placé sur la production
locale de biens et de services, non seulement pour se prémunir contre
les risques associés aux échanges transfrontaliers, mais aussi pour
réduire le déficit grandissant du solde de ces échanges, les importations
s’accroissant plus rapidement que les exportations. Nous sommes tous
concernés. Ce n’est pas que l’affaire du gouvernement, comme on se
plait trop souvent à le dire. Il revient à chacun de nous, citoyens adultes
et jouissant d’une bonne santé , d’apporter notre contribution , sous la
forme d’initiatives, de projets, de finances, selon nos capacités et nos
moyens. C’est ainsi que nous nous sortirons d’affaire, la main dans la
main.
Rêvons un moment au jeune couple qui gère une plantation de choux,
de carottes, de pommes d’amour et de pommes de terre, grâce à des
techniques qu’il aura apprises en faisant l’acquisition de matériel
agricole moderne, financé à partir d’un prêt de la Banque de
Développement, dont le nom initial, dans les années 50 et 60
était :Banque Agricole. Ou bien, rêvons encore à ces équipes de marins
pêcheurs, ayant bénéficié de prêts de cette même banque pour
s’acheter un bateau techniquement bien outillé pour la pêche sur les
bancs marins qui font partie de notre République.
Il revient à chacun de nous de nous mettre au travail dans la
mesure de nos moyens. Et si nous arrivons à nous tirer d’affaire,
comme nous l’avons fait dans la décennie quatre-vingts, nous
aurons démontré que nous avons gardé cette volonté de réussite qui
a caractérisée des générations passées. C’est pourquoi l’attitude de
chacun de nous, citoyens mauriciens, doit être celle d’une prise en
charge personnelle et collective, opposée à ces attitudes qui
consistent à s’en remettre totalement aux dirigeants, avec le risque
que ces derniers ne finissent par se glorifier à avoir été les seuls à
sauver la patrie. La remise en état de notre pays, en général, et de
son économie, en particulier, c’est l’affaire de chaque citoyen de
cette république. Soyons, non pas des quémandeurs et des
mendiants, mais des acteurs et des exécutants, selon nos capacités
et nos moyens.
Bref rappel de la situation avant la pandémie
Avant que ne frappe la pandémie, les divers secteurs d’activité,
tout actifs qu’ils étaient, n’étaient pas au beau fixe.
- Le taux de croissance du tourisme était inférieur à celui des iles-
destinations qui nous concurrencent dans l’Océan Indien,
notamment les Maldives et les Seychelles.
- Les produits des entreprises manufacturières en zone franche
avaient quelque peine à concurrencer, en termes de prix de vente,
ceux produits dans des pays économiquement moins développés,
tel que Madagascar, précisément parce que le coût de la main
d’œuvre et des intrants a tendance à augmenter lorsque l’économie
d’un pays progresse.
-Le secteur des services financiers transfrontaliers se dirigeait
inopinément vers l’inscription sur une liste noire !
-Et l’agriculture faisait face à des questions existentielles, sa
locomotive pluriséculaire - la canne à sucre - se dirigeant
inexorablement vers une voie de garage.
-Seul le secteur des technologies de l’information pouvait
commencer à battre des mains, grâce à l’arrivée inévitable du
virtuel. Ce qui, toutefois, suscitait la question de savoir si le
nombre de techniciens autochtones suffirait à une offre accrue de
la part des opérateurs.
Voilà donc, brossée en un tour de main, la situation avant que
Covid ne frappe notre économie de plein fouet. Celle-ci doit donc,
non seulement être remise à flot, mais aussi retrouver un rythme de
croissance tel que la République puisse grimper à nouveau au plus
haut palier de l’échelle des revenus des pays du monde par tête
d’habitant. Rappelons, non sans nostalgie, que Maurice n’a
séjourné à ce haut palier que pendant quelques mois, avant que le
Covid ne vienne tout chambouler.
La suite de cet article est en deux parties. La première se penche
sur la relance des secteurs de production et de services. La seconde
plaide pour une gouvernance publique désintéressée et de haute
facture.
Redynamiser les secteurs d’activité économique
L’objectif primordial est le redressement de la balance
commerciale, à travers une hausse des exportations et une
réduction des importations. Cela signifie donc que chacune de nos
industries doit trouver les moyens de dynamiser ses ventes sur le
marché mondial :
- Davantage de dépenses des touristes durant leur séjour, en
visitant nos villes, nos musées, nos théâtres et nos jardins. Pour
le moment, ce n’est qu’un rêve : à nos municipalités à se mettre
au travail, en collaboration avec les opérateurs touristiques.
Il y a lieu aussi, de promouvoir le tourisme à Rodrigues, non
seulement pour nos visiteurs étrangers, mais aussi celui des
Mauriciens dont les frais se règleraient en roupies et non en
dollars et en euros, avec un avantage pour la balance
commerciale.
- Donner une touche particulièrement mauricienne et exotique à
nos produits textiles manufacturés en zone franche. Voilà de
quoi occuper le Fashion Institute !
- S’assurer que nos jeunes soient dument formés, dès les bancs du
Collège, aux nouvelles techniques technologiques. Il faut
absolument s’assurer que les gains post pandémie et les
avancées du secteur des technologies de l’information puissent
être engrangés par une main- d’œuvre qualifiée d’origine
autochtone.
- Pour faire honneur à notre devise nationale : l’étoile et la clef de
l’Océan Indien, soyons inventifs et réunissons tous nos efforts
afin que notre secteur financier transfrontalier continue sur sa
belle lancée, malheureusement bousculée par des modifications
radicales d’un accord fiscal avec l’Inde. D’une part, tournons-
nous vers les pays du continent auquel nous appartenons, et
tâchons, comme cela s’est fait naguère pour l’Inde, d’être la
plateforme à partir de laquelle des investissements étrangers se
dirigeront pour le financement de leur développement. Et
sachons doter cette plateforme de services professionnels de
qualité à un coût compétitif à l’international.
- Une attention particulière est nécessaire pour la redynamisation
du port franc, surtout dans le sillage du récent accord de libre-
échange avec des pays d’Afrique. Les récents évènements
malheureux qu’a connus le port sont un signal fort pour que
toutes les dispositions soient prises pour doter le port d’une
gouvernance efficace et de qualité, ainsi que de matériel
moderne et continuellement en bon état de marche.
- Et, pour terminer cette liste de secteurs d’activité à redynamiser,
venons-en à l’agriculture. En premier lieu, il faut élaborer une
politique de valorisation des terres abandonnées, afin qu’elles ne
soient pas toutes enterrées sous le béton. Travaillons à
moderniser l’agriculture, avec des cultures susceptibles de
répondre aux besoins suivants du développement de la
République ; a) des cultures vivrières, pour nourrir la population
et les touristes, b) une canne développée pour produire
davantage de bagasse que de sucre, ce qui grossira nos sources
d’énergie renouvelable et réduira nos importations de
combustibles étrangers, et c) le développement de l’élevage,
notamment les bovins, les caprins et les lapins. Sans oublier la
volaille à mettre au pot le dimanche !
- En dernier lieu, n’oublions pas cette chère zone maritime
exclusive mise à notre disposition par les Nations-Unies. Voilà
des ressources maritimes de 2,3 millions de km2, dont nous ne
savons pas encore ce qu’elles contiennent en termes de
poissons, de fruits de mer …et de ressources énergétiques.
Une gouvernance publique hors pair
Le progrès économique d’un pays requiert une gouvernance
publique efficace. Que ce soit pour des plans à élaborer ou des
projets à démarrer, les décisions doivent être prises pour le bien
de la nation tout entière, et non en fonction de quelque exigence
de type électoraliste, découlant de promesses faites en vue de
favoriser, soit une partie numériquement importante de
l’électorat , soit des apporteurs d’aide financière. Les exemples
ne manquent pas chez nous ! Et l’électeur s’y laisse prendre, en
faisant le mauvais calcul, c’est-à-dire en votant pour celui qui
lui a promis monts et merveilles plutôt que pour celui qui est le
plus apte à contribuer au progrès soutenu du pays.
C’est dans ce contexte que la situation post pandémie est une
occasion de tenter de remettre les pendules à l’heure .Au nom
du redressement économique pour le bien de la population tout
entière, que des décisions courageuses soient prises, aussi bien
par ceux qui nous gouvernent que par ceux qui aspirent à les
remplacer.
En pole position, se trouve l’Etat Providence, ce joyau post
indépendance, dont nous n’avons malheureusement plus les
moyens. Suite aux méfaits prolongés de la pandémie, la dette
publique s’est enflée outre mesure et elle serait, apparemment,
aussi élevée que le PIB (Produit Intérieur Brut) du pays.
Autrement dit, s’il fallait tout rembourser sur le champ, il nous
faudrait à nous, Mauriciens, prendre le fruit d’une année entière
de travail pour éteindre notre dette.
Heureusement, tel ne sera pas le cas, mais soyons réalistes :
nous sommes en train de charger les épaules des générations
montantes, de nos fils et de nos filles, de dettes lourdes, et cela à
un moment où ces générations encore actives, seront en nombre
déclinant vis-à-vis des ainés bénéficiaires du brp (basic
retirement pension), lequel est accordé de manière universelle.
Précisons ici que le nombre déclinant des générations actives
relève de la chute, depuis plus de vingt ans, du taux de fertilité,
de sorte qu’à l’heure actuelle, le nombre des naissances
annuelles est inférieur à celui des décès. Il faudra donc gérer
deux bombes à la fois ; la hausse de la dette publique et la
baisse de la population, particulièrement de la population active.
C’est pourquoi, les gouvernants et les aspirants gouvernants
devraient avoir le courage de présenter à la population tout
entière la situation financière du pays, par exemple en
convoquant les forces vives - économiques, syndicales, sociales
et religieuses - à se rendre compte de la situation au cours d’une
série de réunions, en vue de dégager un consensus sur les
priorités de l’aide gouvernementale au bénéfice des seuls
méritants. En somme, un Etat Providence accordant une aide
modulée selon les besoins des bénéficiaires.
En guise de conclusion
Tous concernés : tel a été l’appel au début de cette réflexion par
rapport à la situation socio-économique issue de la pandémie.
Les divers secteurs d’activité économique ont été passés en
revue et des voies à suivre ont été indiquées afin que le pays se
redresse pour le bien de tous. La dernière partie a fait l’objet
d’un plaidoyer pour le rejet de l’électoralisme par des partis
politiques, et une réévaluation de l’Etat Providence, afin que
l’aide de l’Etat soit offerte selon les besoins des uns et des
autres, et non de manière universelle,
Les normes nouvelles imposées par la pandémie nous invitent,
sinon nous imposent, de sortir des sentiers battus dans notre
réflexion.
Pierre Dinan
Le 23 mars 2022
* Se dit d’une vérité tellement évidente qu’elle est risible
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