L’économie mauricienne - A la croisée des chemins
L’économie mauricienne
A la croisée des chemins
Il est bon de rappeler les deux événements quasi simultanés de janvier
2019, lesquels devaient affecter, de manière significative, l’équilibre et
le comportement de l’économie mauricienne. En effet, au moment où
la pandémie s’abattait sur nous et nous forcer à fermer nos frontières,
nous apprenions que notre pays avait, selon des statistiques officielles
du FMI (Fonds Monétaire International), atteint un échelon
relativement élevé du revenu moyen annuel par tête d’habitant, soit
11 097 dollars. Mais notre pays n’avait pas commencé à se sentir plutôt
à l’aise, du moins par rapport à l’avenir, que nous dégringolions le long
de l’échelle des revenus, suite aux méfaits de la pandémie sur nos
activités d’ordre économique, et nous nous retrouvions, à la fin de
2021, avec un revenu annuel par tête de 8 812 dollars, soit 20,5% au-
dessous du niveau atteint en 2019. Et, selon les estimations de
Statistics Mauritius, le montant correspondant du revenu par tête
d’habitant en 2022 sera de l’ordre de 8 600 dollars, donc toujours au-
dessous du niveau de 2019.
La pandémie nous a projetés au fonds du précipice, nous y sommes
encore. Nous y plaisons-nous ? Une telle attitude défaitiste serait
indigne de notre part, nous les contemporains et/ou descendants des
Mauriciens qui ont sauvé le pays durant la décennie quatre-vingts,
après les deux dévaluations subies par la roupie en octobre 1979 et en
septembre 1981.
En ces temps difficiles, Il est navrant d’entendre des propos du type :
que peut faire le gouvernement pour nous? S’il est vrai que nos
gouvernants ont la responsabilité morale de gérer ce pays pour le bien-
être de tous ses citoyens, sans distinction ou préférence aucune, il est
aussi indéniable qu’il revient à tout citoyen de ce pays de faire sienne le
célèbre appel de John Kennedy, au cours de son discours inaugural
comme Président des Etats-Unis :
» Ask not what your country can do for you – ask what you can
do for your country ».
Telle est l’optique dans laquelle se développera cet article qui
fait appel à tout Mauricien, qui se respecte et qui a toutes ses
facultés, pour qu’il apporte sa contribution au renouveau de
notre économie, pour son bien à lui et pour celui de la
population tout entière. Car il convient de rappeler que la
bonne marche et le progrès de l’économie mauricienne ne
peuvent être que la résultante d’une utilisation optimale de
ses ressources, lesquelles sont :
- les caractéristiques de sa population bigarrée,
- l’étendue de ses ressources marines,
- les énergies provenant du soleil tropical, et des plages
immaculées.
Ajoutons-y la localisation géographique de la République
mauricienne dans l’Océan Indien,
- d’abord à côté de Madagascar, un immense territoire encore
sous- développé, et
-aussi, à proximité, des voies maritimes reliant des pays géants
asiatiques aux pays en voie de développement du continent
africain.
Jamais Maurice n’aura autant mérité cette description inscrite
dans son armoirie : l’Etoile et la Clef de l’Océan Indien.
Changement de la physionomie de l’économie mauricienne.
La pandémie n’a pas été le seul agent perturbateur de
l’économie mauricienne. Un changement de fond est en
mouvement depuis des années au sein de la population
mauricienne. On peut la résumer ainsi : le proverbial arbre
démographique, large à la base et étroit au sommet, se
transforme progressivement depuis la fin du siècle dernier en
une toupie, toute pointue au bas et toute ronde au sommet.
C’est le résultat d’une baisse du taux de natalité, accompagnée
simultanément d’une prolongation de la vie chez les personnes
âgées.
C’est ainsi que Statistics Mauritius prévoit que d’ici à 2037,
Maurice comptera une personne âgée pour un seul jeune au-
dessous de 15 ans. En 1997, soit quarante ans plus tôt, le ratio
personne âgée/jeune de moins de 15 ans, était égal à un pour
trois. Avis est ainsi donné à la génération montante : le poids
des pensions généreusement accordées à toutes les personnes
âgées ne cessera d’augmenter, alors même que les personnes
actives risquent fort d’avoir à faire face à une fiscalité
grimpante !
Par ailleurs, ces changements démographiques ne sont pas sans
conséquences pour l’économie du pays. Depuis les années 70,
la disponibilité d’une main-d’œuvre abondante a été une des
pièces maitresses du développement économique de Maurice.
C’est ainsi que les zones franches manufacturières ont été
introduites, ainsi que le tourisme. Ces deux secteurs d’activité
sont aujourd’hui parmi les plus importants pour la fabrication
annuelle du PIB (le Produit Intérieur Brut), communément
appelé notre gâteau national. En effet, avant la crise du Covid,
le tourisme constituait environ 8% de ce gâteau national et
menait le peloton. Les entreprises des zones franches
manufacturières tournaient autour de 4 à 5 %.Se sont aussi
inscrites au tableau, à partir des années ’90, deux autres
industries, notamment le secteur financier transfrontalier et
celui des technologies informatiques. Ces deux secteurs sont
également à forte intensité de main-d’œuvre, mais d’un niveau
professionnel généralement plus élevé que pour les deux
industries précédentes.
Or, voilà que déjà des voix s’élèvent dans les milieux concernés
par rapport au problème de recrutement dans ces diverses
entreprises. Et pourtant, les statistiques officielles font état
d’un taux de chômage égal à 28,9% chez les jeunes de 16 à 24
ans. Il y a de quoi surprendre, mais cette inadéquation entre
l’offre et la demande est, semble-t-il, le résultat des deux
facteurs suivants :
Premièrement, un accent trop académique dans le parcours
scolaire, au détriment de la formation dans les métiers
techniques et technologiques, et
Deuxièmement, une tendance chez des jeunes adultes, quelque
peu adulés par la relative prospérité du pays lors des trois
dernières décennies, à accepter des emplois, comportant par
définition des contraintes par rapport aux horaires de travail et
au niveau du salaire. Ayant connu un certain bien-être, ces
jeunes en veulent davantage et le recherchent dans des pays
plus prospères. C’est d’ailleurs ce même phénomène qui
motive des ressortissants de pays moins développés que le
nôtre, notamment Madagascar, à répondre aux offres
d’emplois d’entreprises mauriciennes, par exemple dans le
tourisme et la boulangerie.
Rappelons ici encore que la diversification économique de
Maurice a réussi grâce à un facteur majeur de réussite,
notamment la main- d’œuvre abondante et à bon marché. Ce
facteur fait maintenant partie d’un passé bien révolu.
Cette situation risque de s’empirer avec la raréfaction des
jeunes dans les années à venir, comme cela a déjà été évoqué
ci-dessus. C’est pourquoi il est impérieux que le développement
économique de la République soir réorienté afin qu’il soit à une
moindre intensité de main-d’œuvre que jusqu‘ici. Dans le
même temps, le Covid nous a montré- obligation fait loi !-
comment le recours à la technologie et au numérique peuvent
soulager des situations causées par le manque de main-
d’œuvre. Continuons donc sur cette lancée et organisons-nous
à tous les niveaux de notre société mauricienne pour que des
outils technologiques modernes prennent graduellement le
relais pour les opérations à forte intensité de main d’œuvre.
Simultanément, faisons en sorte que les futurs techniciens
mauriciens aient une solide formation technologique, ce qui
non seulement haussera leur productivité, mais aussi leur
rémunération et surtout leur statut auprès de la société tout
entière.
Et puisque les personnes âgées seront de plus en plus
nombreuses, il est fort souhaitable que le service public leur
offre des cours appropriés dans des centres de formation
spécialisés, car elles ont beaucoup de peine à maitriser les
technologies nouvelles issues du numérique. Or, au fur et à
mesure que les années passeront, ces personnes âgées devront
s’adapter à une moindre présence humaine, compte tenu de la
diminution relative des forces actives de ce pays, comme déjà
évoqué ci-dessus.
Réduire l’étendue de notre dépendance des importations
L’autre facteur majeur de changement du profil économique de
Maurice, résultant des méfaits de l’épidémie, c’est la nécessité
de réduire l’étendue de notre dépendance des importations. Le
problème est d’ordre structurel et séculaire : notre spécialité
était la production du sucre de canne que nous exportions pour
pouvoir nous procurer la grosse majorité de nos besoins auprès
de fournisseurs étrangers. Mais tout cela, c’est le passé, et la
mode est à la conversion des champs de canne en lieux de
plaisance ou d’habitation.
Et la balance commerciale se dégrade : par exemple, en 1977,
le déficit de la balance commerciale était égal à 579 millions de
roupies. En 2022, ce déficit commercial est estimé à 58,3
milliards de roupies. La dépréciation de la roupie ne peut, à elle
seule, expliquer cette dégradation du déficit commercial par un
multiple de 100.
En fait, cette dégradation est due au rehaussement de notre
niveau de vie, comme rappelé plus haut par la progression du
revenu moyen par tête d’habitant. L’appétit vient en mangeant,
et c’est ainsi que nous succombons aux multiples offres
commerciales qui nous sont habilement offertes par les moyens
de communication et les réseaux sociaux, particulièrement
durant les périodes festives. Tout cela se traduit par des
importations de marchandises et de services, que nous devons
payer en devises fortes. Dieu nous préserve du sort de la belle
châtelaine désargentée qui ne pouvait plus mener son train de
vie habituel et se voyait esseulée, sans aide aucune de son
personnel d’autrefois ! C’est une situation dans laquelle nous
courons le risque de nous retrouver si nous laissons libre cours
à nos habitudes et à notre appétit de consommation, comme si
la pandémie n’avait eu aucun effet malfaisant sur l’économie
mauricienne.
C’est avec une telle image en tête que nos gouvernants, les
détenteurs de capitaux, les propriétaires terriens et la
population en général doivent tirer des leçons des
conséquences du Covid par rapport à notre approvisionnement
en marchandises et en services à partir des pays étrangers. Il
n’est certes pas question de prétendre que nous pourrions
atteindre l’autosuffisance alimentaire ou fermer nos frontières
aux importations d’autres biens et services. La libéralisation des
importations va de pair avec celle des exportations, elle permet
à la concurrence internationale de fonctionner pour le bien des
populations concernées.
Mais cet état de fait doit nous servir d’aiguillon pour réduire
notre dépendance de biens et de services que nous pouvons
avantageusement produire ou développer chez nous. A cet
effet, l’accent placé, dans le discours du budget 2022, sur la
production agricole locale, était tout à fait justifié. Mais les
actes doivent suivre les paroles. Formulons donc le souhait que
les actions suivantes soient développées dans des délais
raisonnables :
- Une campagne de plantation des arrière-cours en
légumes et fruits
- La diversification en légumes et en élevage (bovins,
caprins, porcs, canards, lapins,…….) de terrains jusqu’ici
plantés en canne et plus ou moins laissés en friche.
- Au niveau de l’Etat, l’adoption d’une politique vigoureuse
de rapprochement avec nos voisins, notamment
(1) avec Madagascar pour la plantation de maïs et de riz
sur leur immense territoire, en vue d’exportation sur
Maurice, ce qui réduirait considérablement le fret
que nous devons débourser pour ces produits de base
venus d’Asie et d’Amérique du sud, et
(2) avec les Seychelles qui sont, comme nous,
bénéficiaires de millions de kilomètres carrés
d’espace maritime et qui sont déjà à l’œuvre pour les
exploiter. Pourquoi ne pas apprendre d’eux comment
ils s’y sont pris ? A quels experts s’adresser pour en
faire de même et ainsi développer le secteur
mauricien de la pêche, afin qu’il puisse contribuer, de
manière significative, à la composition du gâteau
national ?
Ayons comme objectif de hausser, de manière
significative, la contribution du secteur agricole au PIB de
Maurice. Cette contribution-là était égale à 12,9% en
1990 ; en 2010, elle était descendue à 4,3% ; elle est
estimée à 3,4% en 2022.Cette tendance doit être
impérativement inversée.
En matière de changement de physionomie de l’économie
mauricienne, nous avons jusqu’ici évoqué deux voies
majeures à emprunter, notamment l’adaptation à une
démographie vieillissante et le renouveau d’une
l’agriculture axée sur un moindre recours à l’importation Il
nous reste une troisième et dernière voie à emprunter, ce
sont des retouches aux secteurs existants, afin qu’ils
puissent continuer à contribuer, de manière significative, à
la fabrication du gâteau national. Ces secteurs sont le
tourisme, les zones franches manufacturières et les
finances transfrontalières.
Mais avant de les considérer, un par un, rappelons la
constatation déjà faite ci-dessus par rapport au secteur
des services technologiques : l’accent a été placé sur la
formation, laquelle doit être organisée de manière
rationnelle et active dès l’école. Autrement, nous n’aurons
d’autre choix que de recourir à des opérateurs étrangers.
S’agissant du tourisme, l’objectif doit être d’amener les
visiteurs à rehausser leur niveau de dépenses sur le
marché local, ce qui nous apportera des devises
supplémentaires. A cet effet, il faut offrir aux touristes des
occasions de dépenses, notamment, en termes de visites
de lieux et de monuments typiques et représentatifs des
différentes cultures mauriciennes qui se côtoient à
Maurice. Sur ce terrain-là, nos concurrents immédiats
seraient battus d’avance. Et pourtant, nous n’en tirons pas
vraiment profit : seul le musée du sucre sauve la mise, les
villes n’invitent guère à des promenades, vu l’insécurité de
certains trottoirs et l’état d’entretien de certains
bâtiments. Les deux théâtres municipaux sont fermés
depuis des lustres. Heureusement que le Caudan Arts
Centre est venu à la rescousse. Autrement dit, si l’on veut
augmenter les devises provenant du tourisme, le nombre
de visiteurs d’outremer est évidemment important, mais la
qualité du séjour doit être soignée, afin que les visiteurs
soient tentés, durant leur séjour, de délaisser le farniente
de la plage pour la découverte de nos villes et villages.
Les zones franches manufacturières sont des victimes du
progrès économique de Maurice. Elles doivent leur
existence et leur succès à la main d’œuvre abondante et à
bon marché des années ’70. Tel n’est plus le cas, et ce
n’est pas de leur faute. Elles doivent, donc, adapter leur
production aux conditions d’opération d’aujourd’hui, ce
qui veut dire offrir à la clientèle un produit différent de
ceux qui sont offerts sur les marchés internationaux par
des pays capables d’offrir des produits à moins cher que
les nôtres. Le Fashion Institute de Maurice a du pain sur la
planche : il s’agit d’offrir à la clientèle des jeans et autres
prêts à porter des modèles distinctifs, made in Mauritius.
Le secteur des finances transfrontalières, fort
heureusement, a survécu à un choc majeur lorsque le très
favorable accord fiscal avec l’Inde a été abrogé. Toute
l’expérience acquise durant plus d’un quart de siècle doit
maintenant être déployée avec intelligence afin que nous
puissions aider les capitaux mondiaux en quête
d’investissements à être acheminés vers des pays
d’Afrique, en quête de capitaux pour assurer leur
développement. Le succès viendra à ceux qui voudront et
sauront prendre les risques de sonder les marchés des
pays africains.
Voilà encore une occasion de rappeler que Maurice fait
partie de la zone de libre-échange intercontinentale
africaine, ce qui crée, d’ailleurs des opportunités à saisir
pour accroitre les activités du port franc, lorsqu’il se sera
équipé substantiellement pour pouvoir concurrencer
d’autres ports de notre région.
La liste de retouches aux secteurs existants serait
incomplète si nous omettions de signaler l’existence,
forcement opaque par définition, de l’économie noire. Et
celle-ci a deux composantes : l’une légale, l’autre illicite.
La version légale est celle qui est constituée des activités
de ces innombrables petits entrepreneurs, allant du
marchand à bicyclette ou à moto au garage de réparations
automobiles, et en passant par les électriciens/techniciens
de toutes sortes , dépanneurs chez les particuliers. Leur
insertion dans la légalité leur serait bénéfique car ils
pourraient, le cas échéant, bénéficier des aides de l’Etat.
Leurs employés seraient reconnus et pourraient alors être
bénéficiaires des fruits de la CSG (Contribution Sociale
Généralisée) à leur retraite. Si les autorités fiscales
exemptent ces contribuables potentiels d’être imposés sur
leurs bénéfices des années passées, et si les avantages du
légalement correct leur sont expliqués, ce sera un apport
non négligeable à la dimension du gâteau national.
La version illicite de l’économie noire est celle qui est
constituée par les échanges entre les fournisseurs/importateurs
de drogues et les consommateurs. Si ce problème relève
davantage de la police judiciaire que de l’économie, il reste que
la Banque de Maurice a probablement des moyens d’estimer
l’étendue du business, en calculant si le volume de la monnaie
en circulation reflète la dimension du gâteau national. Par
ailleurs, le pourcentage du chômage des jeunes est peut-être
faux, dans la mesure où certains d’entre eux sont devenus des
passeurs.
En guise de conclusion
Il y a une caractéristique commune à tous les secteurs
d’activité envisagés pour constituer l’épine dorsale de
l’économie mauricienne durant les prochaines décennies.
De par leur nature même, ils comportent tous des
transactions répétitives à longueur de journées, de mois
et d’années. Cela s’applique au tourisme et au secteur
manufacturier. Il en est de même pour l’agriculture, les
transactions financières, les services technologiques et le
port franc, ainsi que pour l’économie noire.
Mais il y a une exception à cette caractéristique commune
et elle doit être mise en évidence, vu la récente montée
en puissance de ce secteur d’activité. Il s’agit du secteur
désigné dans la composition du PIB sous le vocable : real
estate, renting and business transactions. Il contribue, en
moyenne, à 5 ou 6% du PIB. Son dynamisme provient de la
politique d’ouverture que prône Maurice à l’égard des
étrangers riches, souvent en fin de carrière ou à la retraite,
dont les apports en capitaux pour l’achat d’un
appartement sont évidemment bienvenus. Il faut,
toutefois, rappeler que ces apports de capitaux sont de
nature unique et non répétitive.
Autant conclure que, si la contribution de ce secteur est
bienvenue, elle ne nous dispense guère de suivre les
diverses voies indiquées tout au long de cet article pour
des retouches aux secteurs existants, et surtout pour une
redynamisation de l’agriculture et une exploitation
intelligente de nos ressources maritimes.
Ne prenons pas le risque de nous contenter de solutions
de facilité et non durable.
Il n’y a pas de temps à perdre. Mettons-nous au travail,
comme nos ainés l’avaient fait dans les années ’80.
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