Quatorze à la douzaine
Quatorze à la douzaine
L’abondance d’un produit ou d’une facilité est parfois résumée par l’expression:
treize à la douzaine. Et voici qu’en ces dernières semaines de l’an 2023 à Maurice,
dans le sillage du retour graduel de l’économie nationale à la normalité d’avant
COVID, nous sommes invités à modifier cette expression en un retentissant
quatorze à la douzaine. Il s’agit d’une proposition émanant du leader de
l’Opposition à l’effet que le boni de fin d’année soit égal à deux mois, au lieu d’un
mois, comme le stipule la loi en vigueur depuis plusieurs années. Ainsi, les
salariés travailleront 12 mois, mais seront rétribués pour 14 mois !
Et pourquoi pas ? De récents rapports de quelques entreprises mauriciennes,
dont des banques et des conglomérats, font état de résultats financiers positifs et
conséquents. Ces résultats frappent davantage l’imagination, lorsqu’ils sont
comparés à ceux de l’exercice financier précédent. Alors, se disent les lecteurs de
ces résultats qui font les grands titres de la presse, alors, où est notre part de ce
gâteau additionnel ?
De même, lorsqu’est évoquée la croissance de l’économie de notre pays, il arrive
que l’accent soit placé sur son taux, d’année en année. C’est ainsi que des
personnalités politiques au pouvoir ne manquent pas l’occasion de rappeler que
cette croissance annuelle a grimpé de 3,4% en 2021, à 8,9%en 2022 et à 6.8% en
2023.
Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, et notre économie
nationale est-elle en mesure de nous procurer un quatorzième mois de revenus
au moment où nous nous apprêtons à tourner la page d’une nouvelle année ?
Comparons ce qui est comparable
Lorsque nous avons à établir une comparaison entre deux séries, nous devons
nous assurer qu’elles sont ….comparables ! C’est une vérité de monsieur de la
Palice ! Ainsi, si nous avons à comparer les performances respectives de deux
lanceurs de javelot, nous les mesurerons, chacune en mètres, et non l’une en
mètres et l’autre en pieds. Ou inversement. De même, si nous voulons savoir
lequel est l’athlète le plus rapide, entre Jean et Jacques, nous mesurerons leurs
performances respectives en mètres ou en pieds, et nos l’une en mètres et l’autre
en pieds !
Et pourtant, c’est la grossière erreur que nous commettons en essayant de juger
de l’évolution de notre économie et de ses composantes. Nous tombons dans le
piège de mesurer cette évolution en roupies mauriciennes, celle d’avant COVID
et celle d’après COVID, celle d’il y a cinq ans et celle d’aujourd’hui. Par exemple,
nos calculs comparatifs ne tiennent pas en ligne de compte les évolutions
suivantes, telles que rapportées par la Banque de Maurice dans ses tableaux
statistiques :
- Notre roupie s’échangeait à 35 pour un dollar US en 2017/18, mais en
2021/22 ce taux avait atteint 45. Au 24 novembre 2023, le taux état égal à
44,6 pour un dollar, soit quasiment pareil à la moyenne de l’exercice
21/22.Le taux de la dépréciation était égal à 27,4%
- S’agissant du taux de change avec la livre sterling, l’évolution des taux est
comme suit : 45 en 2017/18, 55 en 2021/22 et 56,26 au 24 novembre, soit
un taux de dépréciation égal à 25,0%.
- Les données comparatives pour le taux de change roupies-euros sont
comme suit : 40 en 2017/18, 48 en 2021/22 et 48,94 au 24 novembre, soit
un taux de dépréciation égal à 22,4%.
En conséquence, lorsque nous établissons des rapports de performance de
l’économie mauricienne, nous les exprimons en des roupies qui ne sont guère
comparables d’une année à l’autre. Le volume en roupies augmente en
quantité, mais non en valeur réelle. Pour qu’elles soient comparables, les
performances devraient être établies en roupies constantes, c’est-à-dire en
roupies d’où auraient été éliminés les effets de la dépréciation de la monnaie
mauricienne. Les comparaisons entre les années seraient alors véridiques et
réelles.
Sachons pratiquer l’épargne
Le PIB (Produit Intérieur Brut) d’un pays est la mesure de sa dimension. C’est
le gâteau national produit en une année par toutes ses ressources, humaines
et naturelles. Et ce gâteau est destiné à deux usages. Il est, en partie
consommé durant l’année en cours, et en partie, épargné pour un usage futur.
Cette épargne servira à renforcer et enrichir l’économie du pays au cours des
années à venir. S’agissant de la consommation, elle accroitra davantage les
importations surtout à Maurice, vu le poids significatif de celles-ci par rapport
au PIB. Or, l’évolution récente de l’épargne mauricienne n’est guère favorable
au renforcement de notre économie nationale. Ce taux avait atteint 28 ,6% en
1986, au moment où l’économie du pays prenait son envol. Vingt ans plus
tard, en 2005, ce taux avait chuté à 17,5% et, à la veille de la pandémie, en
2019, il était descendu à 11,9%.En 2023, se dessine une amélioration à
hauteur de 17,3%. Si nous pratiquons avec force une politique de rattrapage
des revenus, le taux de consommation reprendra l’ascenseur. Cela fera le
bonheur des publicistes qui savent merveilleusement nous mettre sur la voie
de la consommation, avec des campagnes comme celles du BLACK FRIDAY, un
vrai pavé nord- américain dans la marre mauricienne. Et nos chères réserves
en devises étrangères s’amenuiseront, obligeant la Banque de Maurice à
déprécier davantage notre roupie dans une tentative de booster nos
exportations. Et l’inflation poursuivra son ascension !
A la lumières de tous ces faits et chiffres, sommes-nous enclins à les ignorer et
à pratiquer la politique à court terme du tout de suite , et de l’après moi le
déluge !
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